jeudi 25 janvier 2018

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 14

                Jasmin Vincelette habitait dans un bloc-appartement dans le secteur est de la ville de Gatineau. On pourrait dure un « quartier populaire ». La plupart des habitations était des immeubles à logement, ou alors des petites maisons d’un style ancien, celui de la grande période industrielle de la première moitié du 20e siècle. Plusieurs familles avaient quitté la campagne, et tout particulièrement les terres incultes des Laurentides, mettant à mal le rêve colonisateur du curé Labelle un véritable exode; des dizaines de milliers étaient partie en exil aux États-Unis pour ne plus revenir, plusieurs autres trouvant que quand même « s’en aller aux États » était somme toute un peu drastique, malgré les « grosses gages » avaient vu dans la possibilité de s’installer à Gatineau une intéressante alternative.
Des quartiers-champignons avaient poussé, autour de la caisse populaire, de l’épicerie et de la taverne. Les tavernes avaient disparu, ou s’étaient transformées en brasseries branchées, et les épiceries soit avaient absorbées par des grandes chaînes d’alimentation multinationales, ou carrément en dépanneur. Seule la Caisse populaire avait toujours pignon sur rue au même endroit; elle avait été agrandie, avait été modifiée plusieurs fois. Des espaces verts et des pistes pour vélo ne camouflaient pas entièrement l’aspect vieillot du quartier. On ne se douterait pas être à moins d’un kilomètre de la capitale proprette, touristiquement chic et ordonnée de la capitale du pays.
-Tu es sûre que c’est ici ?
-Affirmatif; appartement 25, au deuxième.
Paul reste un peu dubitatif; il y a quelque chose qui cloche. Le lieu tranche un peu trop avec le reste de l’enquête. L’enquête avait commencé dans l’environnement quasi-paradisiaque d’un lac jamais corrompu du chalet d’été d’une communauté religieuse tout ce qu’il y a de plus respectable, puis autour des habitations bien proprettes autour d’un autre lac, et enfin la maison petite mais aisée de Gatineau de Simon-Pierre Courtemanche à Gatineau, sans oublier les bureaux de l’hebdomadaire local pour lequel il travaillait. Jusqu’à maintenant, il y a eu une sorte de suite logique, ou du moins une ressemblance, une certaine homogénéité, comme des éléments d’un même tout… mais Paul trouve qu’il y a une rupture dans la concordance, dans l’ensemble bien agencé avec cet immeuble à logement, qui convient mieux à une populace peu argentée.
-À quoi tu penses ?
-C’est bizarre… je me serai attendu à quelque d’autre… De ce qu’on avait vu dans les photos d’internet, de ce qu’on aurait pu déduire de sa vie commune avec Courtement, je ne me serais pas imaginé Jasmin Vincelette vivre dans un tel environnement. Il a l’air de vivre dans la dèche.
-Peut-être que c’est le cas, en fait.
-Ouais… Allons-y.

Jasmin Vincelette les attendait. Il n’a guère pris de temps à répondre à leur coup de sonnette. Il les attend même sur le palier de la porte.
Sans vouloir laisser voir leur surprise, Paul et Roxanne aperçoivent un homme dans la quarantaine dans une tenue considérablement négligée. Il n’est pas rasé depuis quelques jours, les cheveux en bataille qu’il vient tout juste d’aplatir d’une main qui n’y croit pas trop; il porte un tee-shirt rouge délavé avec quelques tâches de peintures ou d’huile ou autre chose. Un jean mal boutonné, en grosse chaussettes de laine; une cigarette au bec. On s’attendrait à l’entendre, dès qu’il ouvrirait la bouche à sacrer comme un charretier.
-Monsieur Jasmin Vincelette… C’est vous ?
-Oui, c’est moi !
Un peu en retrait Roxanne regarde attentivement et homme comme surgit d’une lampe d’Aladin. Sa voix est suave, grave, posée, et malgré son air nonchalant et sa piètre tenue il s’en dégage un charme fou, presque irrésistible; il a un je-ne-sais quoi qui la fascine; un côté attrayant qui le rend presque sympathique; plus même : presque amical. En fait, sa tenue négligée est très certainement étudiée, sa posture est calculée au centimètre prêt. Il joue son rôle à la perfection ! Tout est du bluff… Quel manipulateur il doit être ! Il doit être impossible de résister à ses désirs… Il est dangereux…
-Bonjour, je suis le capitaine Paul Quesnel et voici mon assistante l’officière Roxanne Quesnel-Ayotte, et comme on vous l’a dit au téléphone, nous voudrions vous poser quelques questions sur la mort de Simon-Pierre Courtemanche.
-Très bien, allez-y !
-Vous… vous ne voulez pas qu’on rentre ? On ne serait plus à laisse chez vous pour parler ?
-Non, j’préfère rester dehors…
-Ici, sur le palier de l’escalier ?
-Est-ce que je suis obligé de vous faire entrer chez nous ?
-Nous vous n’êtes pas obligé, mais vous savez qu’on viendra de toute façon. Je peux simplement aller demander un mandat de perquisition et, comme votre refus de collaborer pourrait me paraître suspect, ce soir même, nous pourrions revenir avec toute une équipe et on pourrait fouiller votre appartement de fond en comble, avec tous les désagréments que ça pourrait vous occasionner.
-Hmmm…
-Alors, laissez-nous entrer maintenant, laissez-nous vous poser quelques questions et ensuite nous partirons. Nous vous demanderons seulement de venir au poste de police pour une prise d’empreintes digitales… C’est simplement la routine vous savez… Alors, on peut entrer ou non ?
-J’crois bien que oui.
L’intérieur de l’appartement ne paie pas de mine, raisonnablement propre, rien qui traîne particulièrement. Ils pénètrent dans un salon à l’ameublement simple avec quelques touches kitch ici et là.
-Je crois savoir que vous avez été le conjoint de Simon-Pierre Courtemanche quelque temps, n’est-ce pas ?
-En effet, pendant quatre ans, ce qui dans mon cas, est passablement long…
-Comment vous étiez-vous rencontrés ?
Jasmin Vincelette ricane franchement.
-Qu’est-ce que vous croyez ? Dans un bar, bien sûr. 99% des couples gays se forment et se déforment dans les bars. Vous les hétéros vous avez une vue très linéaire de l’amour : on se rencontre, on se fréquente, on « apprend à se connaître », chiboy !!, pis ensuite si toutes les cartes sont sur la tables, si toutes les planètes sont alignées, si les horoscopes sont en corrélation, si on a respecté toutes les conventions, et puis si, et puis si, et puis enfin on peut se mettre en couple et commencer une relation amoureuse ! Où est l’amour dans tout ce marshmallow ? Où est la passion ? Nous, les gays, on voit un gars qui nous plaît, qui me fait bander, et hop, on baise, sans attendre, sans 94 circonvolutions. That’s that’s all ! Au moins, on sait où c’est qu’on sans va !
-Et c’était dans quel bar ?
-Quel question !? Je l’sais pus. Peut-être Le Branlant, ou peut-être le Trou du monde… J’peux pas dire. Ça a pas d’importance.
-Vous vous êtes installé chez lui, c’est ça ?
-Oui. Après un mois, j’ai déménagé chez lui. Moi j’étais entre deux logements, pis je me cherchais un autre appartement, alors il m’a dit de venir chez lui.
-Quand l’avez-vous vu la dernière fois ?
-Il y trois semaines… J’en avais assez ! Il fallait que je change d’air ! Il était pas très comique le Simon, vous savez ! Il n’y avait rien que son travail, et toujours le travail. Il travaillait le jour, le soir, la fin-de-semaine… Au début ça allait, je pensais que je réussirais à le garder à la maison, mais ça ne s’est pas améliorer… Au contraire, ces derniers temps ça allait en empirant, il y avait cette histoire à Brébeuf de contrebande ou je sais pas trop quoi; il suivait un piste, conme il disait. J’en ai eu assez. ON ne se voyait quasiment plus. Alors je lui ai dit que c’était fini, que j’voulais retrouver ma liberté. Pis, lui il l’a mal pris. Quand j’ai voulu récupérer mes affaires, il voulait pas. Il voulait rien savoir, il voulait que je reste, qu’on reste ensemble; il promettait qu’il travaillerait moins, mais c’était trop tard.
C’est à ce moment que Roxanne décide d’intervenir.
-Vous êtes une beau menteur Jasmin Vincelette !
-Quoi ??
-Un beau menteur, un simulateur; pis un manipulateur en plus.
-Hey capitaine, allez-vous la laisser m’insulter sans rien dire.
-Assoyez-vous monsieur Vincelette… Je vais vous le dire ce qui s’est vraiment passer ! Ce n’est pas vous qui êtes parti; non, c’est lui, Simon-Pierre Courtemanche qui vous a mis dehors.
-Hey, hey, hey…

-Oui, il vous a mis dehors, parce que c’est lui qui en avait assez de payer pour vos frasques ! Vous êtes un dépensier, un gaspilleur, un panier percé. Vous êtes un fainéant, un parasite. Vous vous laisse entretenir par les autres, vous leur sucez – et j’emploie le bon mot _ vous leur sucez le sang jusqu’au bout. Courtemanche en a eu assez de payer pour vos dettes. Vous aimez ça aller au casino, et vous aimez jouer gros, et vous perdez gros. Mais bon, ça ne vous dérange pas, c’est lui qui payait pour vous. C’est lui qui a payé vos dettes de jeux, vos voyages, peut-être votre drogue; c’est pour ça qu’il travaillait autant et qu’il faisait des heures supplémentaires et après quatre ans, il en a eu assez. Ou bien il s’est dit qu’il n’y aurait jamais de fin, sauf s’il vous mettait dehors et c’est ça qu’il a fait, il y a trois semaines !

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