lundi 19 mars 2018


Cela se passait près d’un lac
Chapitre 22

                Roxanne aurait bien voulu répondre tant au propos de Miguel qu’au ton de sa voix, mais elle sent sa tête s’appesantir et en quelques secondes elle retombe dans un sommeil réparateur, en ne laisser échapper quelques marmonnements interrogatifs indistincts.
                Pendant quelque minutes, Miguel regarde dormir celle que son cœur aime, Roxanne Quesnel-Ayotte, dans les draps blancs de ce lit d’hôpital. Ses cheveux qu’elle porte attachés quand elle est en service lui retombent sur ses épaules en ondulations auburn en encadrant le beau visage tendu. Ses lèvres tout comme ses paupières sont légèrement crispées, mais tranquillement à mesure que sa respiration se fait plus calme et plus régulière, elles se détendent aussi.
                Miguel se dit qu’elle aime cette jeune femme, combien il l’aime, même s’ils ne se connaissent que depuis quelques mois. Peut-être pourront-ils bientôt se mettre en couple, à Plaisance, à Granby, ou dans une autre ville, dans un autre ailleurs, en Abitibi, par exemple. Il aimerait bien qu’elle soit la mère de ses enfants. Mais tous les deux font un métier, certes passionnant, mais dangereux. Les événements de la veille le prouve on ne peut mieux. Et l’on sait que les taux de séparation, de divorce, ou même de dépression ou encore de violence conjugale sont plus élevés chez les policiers que dans la population générale. Jusqu’à deux à trois plus élevés.
                Et nos enfants ? Pourront-ils élever « normalement » des enfants dont les deux parents vivent dangereusement ? Et en plus des risques inhérents du métier, mais il y aura aussi le stress de nos deux vies professionnelles. Peut-on leur faire vivre ça ? l faudra faire bien attention. Et ils auraient en plus un grand-père policier...
                Les pensées de Miguel se concentrent sur Paul. Il veille Roxanne depuis que Paul est sorti de la salle d’opération, vers minuit, il y un peu plus de cinq heures. Il a laissé Juliette à son chevet. Comment va-t-elle ? Commetn va-t-il ?
                Il dépose un délicat baiser sur le front de son aimée et sort doucement de la chambre. Il marche dans le couloir. C’est encore tranquille sur l’étage mais bientôt les patients vont s’éveiller et le remue-ménage du matin va commencer : laver et changer les patients qui en ont besoins, distribuer les déjeuners, faire la tournée des médicaments, puis ce sera la visite des médecins…
                Il s’arrête au poste.
                -La patiente 822 s’est réveillée quelques instants, mais elle s’est rapidement rendormie; tout semble normal.
                -Ah bon… Est-ce qu’elle a parlé ?
                -Oui, on a échangé quelques mots, mais elle s’est vite rendormie.
                -Je vais aller contrôler ses signer vitaux.
                -Moi, je vais voit son père et je reviens ensuite.

                Miguel se dirige vers l’ascenseur, il doit monter au sixième. Oh, j’irai sans doute plus vite par l’escalier. Il franchit les trois étages deux par deux. Il cherche Juliette; elle n’est pas dans la salle d’attente. Il la trouve est dans la salle de réveil. Il y a lits mais pour l’instant, il n’y en que deux d’occupés; dans l’autre il voit un jeune homme polytraumatisé. Probablement un accident de la route. Une vraie plaie. Jeunesse + alcool + vitesse excessive = un cocktail mortel ! Quand donc comprendront-ils ? Sans doute jamais.
                Juliette le voit arriver. Elle lui fait un petit signe de la main. Il ne se sont vus que deux fois auparavant. Les deux fois dans la maison de Paul à Plaisance. Ils ont en commun d’être le « nouvel » amour, l’une de père et l’autre de la fille. Ça leur fait un lien particulier, une sorte de complicité. Et maintenant, ils ont un autre point commun : ils sont tous les deux là à veiller la personne aimée, l’un au troisième, une jeune femme qui a reçu un violent coup sur la tête, et l’autre, encore plus mal au point…
Le piège tendu avait fonctionné.  Les serres d’Edmond Picard servaient officiellement à la culture des tomates, c’est comme ça qu’elles avaient été présentées à la municipalité de Brébeuf.  Edmond Picard s’occupait surtout de l’aspect administratif, pour que tout ait l’air normal et légal. Mais les serres servaient aussi à la culture du cannabis à grande échelle. Paul-Henri Noiseux était responsable de l’entretien, de voir à fait pousser les plants, à gérer la température, l’humidité, le terreau. Quant aux frères Couture, Normand et Marc-André, leur rôle c’était d’écouler les stocks, approvisionner le marché de toutes les Laurentides, de Saint-Jérôme (l’une des villes les plus dangereuses du Québec) à Mont-Laurier, deux cents kilomètres au nord, un bon territoire en développement plein de potentiel. Ils pouvaient même alimenter au besoin l’Abitibi ou quelques secteurs d’Ottawa. C’est ce qu’il avait fait au printemps dernier. L’un des informateurs d’Ottawa du journaliste Simon-Pierre Courtemanche l’avait averti, lui parlant de mouvements inusités dans le trafic du cannabis. Il n’avait pas voulu publier la nouvelle tout de suite mais voulait tout d’abord creuser l’affaire pour être sûr de son fait. Il avait aisément découvert que les nouveaux fournisseurs étaient les deux frères Couture, qui avaient une demeure à Saint-Michel. Courtemanche avait longtemps fouiné et passé et repassé par tous les petits chemins de Saint-Michel, mais il n’avait rien trouvé qui pouvait servir d’entrepôt ou d’usine de fabrication.
Puis un jour ils les avaient suivis et la piste aboutissait à Brébeuf. Après quelques jours de recherche il avait bien vu que l’endroit idéal pour une culture de produit illicite ne pouvait être que les serres d’Edmond Picard, mais il voulait en être sûr. Il avait même déduit que le lieu devait avoir une autre issue, un chemin de traverse au milieu des forêts qui évitait aux frères Couture de passer par la grande route, car il n’avait jamais croisé aucun camion ou fourgonnette, pouvant transporter la marchandise vers les marchés de Saint-Jérôme et d’ailleurs. Une nuit, dans la nuit du vendredi à samedi, il avait laissé sa voiture au bord du chemin et été allé voir à pied. Il n’y avait aucune lumière; tout était éteint. La porte du petit bureau adjacent n’a pas été un obstacle pour quelqu’un habitué aux filatures.
Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’au-dessus de ce petit bureau, sur le toit, il y avait une plateforme qui donnait sur l’entrepôt même, qui servait pour les sacs d’engrais. C’est là aussi que dormait Noiseux. Il s’était aménagé un lit pliant, pour surveiller les lieux jour et nuit. Le bruit de la porte l’avait réveillé, puis il avait vu le faisceau de la lampe de poche du journaliste. Du haut de son promontoire, il avait empoigné un sac de 22 kilos et l’avait balancé sur la tête du journaliste, qui s’était affaissé. Puis il lui avait sauté à pied joint pour l’immobiliser. Il s’était foulé la cheville en tombant et n’avait pas pu se relever immédiatement.
Quand en fin, il peut se relever, il crie après l’intrus :
-Alors, tu pensais m’avoir, mon fouineux !?
Mais il n’obtient pas de réponse. Et pour cause. Le sac écrase le visage de Simon-Pierre Courtemanche qui ne pouvant plus respirer est mort étouffé.
À leur arrivée, les frères Couture n’ont pas été très contents de voir le corps sans vie du journaliste; ils ont décidé de le jeter dans le lac Dansereau, où il sera découvert par le père Jean-Marc Bouchard, le lendemain.
Mais en même temps, il se sont dits que ce serait une bonne parade les prochains intrus. Quand Paul était venu les voir à leur maison de Saint-Michel, ils ne savaient que ce serait qui tomberait dans leur piège. Ils étaient arrivés aux serres par le chemin de traverse à partir de Saint-Jérôme. Ils avaient vu la voiture de Paul et de Roxanne. Chacun était à son poste. Noiseux sur la plateforme, Normand dehors vers la droite (le côté que prendre Roxanne) et Marc-Henri de l’autre côté, pour parer à toute éventualité. Noiseux fera le même chose pour Paul que pour Simon-Pierre Courtemanche. Aux cris de Roxanne Marc-Henri s’était précipité et c’est lui qui l’avait assommée d’un coup de bâton de baseball. Si Paul et Roxanne n’avait pas prévu être attendus, les malfrats eux n’avaient pas prévu eux l’arrivée rapide des renforts.
Mais Paul a passé de longues minutes sous le sac d’engrais, son cerveau a manqué d’oxygène. On l’a opéré d’urgence pour soulager la pression sur le cerveau, et on l’a ensuite placé dans un coma artificiel.
Miguel murmure.
-Bonjour Juliette…
-Bonjour Miguel. Juliette s’est réveillée ?
-Oui, tout va bien; elle a dit quelques mots… pour demander des nouvelles de son père. Comment va -t-il ?
-On m’a dit que l’opération s’était bien passée; on a retiré une bonne quantité de sang de la boîte crânienne. On m’a dit que sa vie n’est plus en danger, mais pour le reste on ne pouvait rien dire de plus. C’est à peu près sûr qu’il aura des séquelles; mais lesquelles et combien sérieuses ?... On ne pourra le savoir qu’à son réveil.

Dans sa chambre, Roxanne se réveille.
Miguel n’est plus là. Il va certainement revenir bientôt et me donner des nouvelles de papa… Pauvre papa ! Est-ce la fin de sa carrière ? C’est possible; en tout cas de sa carrière active… Est-ce ce qu’on va le remplacer ?... Il faudrait que je retrouve cette Anne-Sophie et que je l’aide à son sortir. Si elle veut vraiment devenir policière, on l’aidera, c’est certain…

FIN

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