Cela se passait près d’un lac
Chapitre 20
-Alors ?...
Roxanne regarde son père avec un
mélange de fébrilité et de nervosité; elle a senti, presque malgré elle, monter
son niveau d’adrénaline. Paul a arrêté la voiture sur le côté de la route; il
reste silencieux quelques secondes comme s’il cherchait au fond de son
entendement les mots justes à prononcer.
-C’était qui ?
-C’était Anne-Rose… la jeune
serveuse du restaurant.
-Hmm…
-Elle a dit qu’elle était dans
la salle de bain, et qu’elle devait se dépêcher; elle a simplement dit :
« Allez voir la Montée Jodoin; la Montée Jodoin… ». C’est tout; c’est
tout ce qu’elle a dit.
Roxanne tape le nom de la route
et un petit voyant rouge apparaît sur le plan du village à l’écran de son ordinateur.
-C’est ici, c’est tout prêt;
c’est… disons à moins d’un kilomètre du village, du côté sud; de l’autre côté.
Sans attendre, Roxanne retape
une autre commande sur le clavier de l’ordinateur; très vite un résulte s’affiche.
-Et « comme par hasard »,
c’est là que se trouvent les serres d’Edmond Picard. Qu’est-ce que tu dis de ça
?
Paul reprend le cours de ses
pensées.
-Il faut qu’elle fasse
attention; il faut la protéger, elle et peut-être en danger.
-Qui ça ? Anne-Rose ?... Tu
crois vraiment ?...
-Je ne sais pas… Je ne voudrais
pas qu’il lui arrive quelque chose… Elle mérite de s’en sortir... Je vais
appeler Sabrina et Benoît pour qu’ils se rapprochent… En fait, non; on
va les retrouver.
En quelques instants, Paul a
stationné la voiture près de celle de ses deux agents en fonction du côté nord
de Brébeuf.
-Salut chef !
-Alors, comment ça se passe ?
-Pas trop pire… C’est assez calme. Quelques excès de vitesse, et
quelques regards mauvais, mais c’est tout.
-OK, vous arrêtez pour l’instant. Vous attendez cinq ou six
minutes après qu’on soit parti rejoindre Turgeon et Isabelle, et vous irez vous
stationner devant l’édifice municipal, en faisant
semblant d’en exercer la surveillance.
-En faisant semblant ?...
-Oui, parce ce que de là vous aurez une excellente vue sur le
restaurant Chez matante, qui est de biais,
de l’autre côté de la rue principale; c’est ça que vous devez surveiller, et
pas l’édifice de la municipalité. Je ne sais pas, mais peut-être qu’il y a une
jeune personne en danger. Vous intervenez si vous voyez une présence suspecte,
surtout, par exemple, l’un des deux frères Couture, ou alors quelqu’un qui ne
viendrait pas au restaurant pour manger… Est-ce que vous comprenez ?
-Oui chef, je crois. Vous ne voulez pas qu’on se fasse voir, c’est
ça ? Vous voulez qu’on voit sans être vu…
-Oui, c’est tout à fait ça.
-Comptez sur nous !
Paul et Roxanne rembarquent dans leur voiture et repartent en sens
inverse; ils retraversent le village comme s’ils avaient l’intention de s’en aller.
Sans le voir avec précision, ils se doutent bien que de nombreuses paires d’yeux
les regardent à travers les fenêtres et les rideaux. À la sortie de Brébeuf, Paul
stationne près de la deuxième voiture, celle de Félix Turgeon et d’Isabelle
Dumesnil.
-Bonjour Roxanne !
-Bonjour chef !
-Bonjour à vous deux !
-Quel bon vent vous amène ?
-Un vent contraire qui fait que je vais avoir besoin de vous. On
arrête l’opération sécurité pour plus urgent. Roxanne et moi, nous allons faire
un tour sur la Montée Jodoin; regardez c’est là sur le plan, à moins d’un
kilomètre. On y va et vous nous suivez à deux minutes d’intervalle. Mais vous
irez vous stationner ici à l’embranchement du chemin Jodoin et de la 323;
laissez votre moteur tourner et restez en contact. On vous tiendra au courant de
notre progression par radio; je ne sais pas ce qu’on trouvera, alors soyez
prêts à intervenir à la première alerte.
-Compris chef; on sera prêts.
-Sabrina et Benoît ont aussi arrêté l’opération sécurité et
ils sont maintenant au centre du village à faire de la surveillance, mais vous
serez aussi en contact avec eux, au cas où on ait besoin d’eux.
Une fois ses directives données et ces équipes en place, Paul remonte
dans sa voiture; avec sa fille assise à côté de lui, il se dirige vers la
Montée Jodoin. Ils y arrivent en moins d’une minute.
-C’est là, à gauche.
-Oui, je vois; allons-y.
La Montée Jodoin commence par une côte courte mais abrupte; le chemine
grimpe rapidement, de bosse en bosse; aussi il sinue constamment entre les
bosquets de conifères. Il y a peu d’habitations; Paul et Roxanne aperçoivent d’anciens
bâtiments de ferme à l’abandon, puis une maison récente et proprette située sur
une petite butte; sous la neige on devine la forme d’une piscine.
-Attention, on approche… les serres sont juste là après le
prochain tournant… Voilà, c’est ici.
Paul stoppe devant une entrée qui rapidement tourne vers la droite
pour se mettre à l’abri des arbres. Une barrière métallique à moitié démontée dont
la fonction serait de fermer l’entrée est grande ouverte sur le côté. Par-dessus
le tout il y a une grande affiche en bois faite à la main, annonçant,
simplement en lettres noires « Serres Picard; Tomates et laitues ». Roxanne
et la première à descendre, suivie de son père.
-Ça a presque l’aire abandonné.
-C’est vrai.
-Et en plus, on ne peut dire qu’on voit grand-chose; tout est
dissimulé derrière les arbres.
-Au contraire, ma fille… Regarde par terre…
-Par terre ?
-Regarde la neige…
-Il n’y a pas de traces !
-C’est ça… Pas de traces, ni de pneus ni de pas. Ce qui veut dire
que probablement il n’y a personne.
Paul prend son micro accroché à sa veste.
-Isabelle ? Turgeon !? Vous êtes là ?
-Oui, chef !
-On y est, il semble que le nid soit vide. Mais on va tout de même
aller voir. On reste branchés
Paul et Roxanne remontent dans leur voiture et s’avancent sur le petit
chemin des serres Picard à petite vitesse. Le chemin tourne rapidement à
droite, pour ensuite retourner vers la gauche à travers les arbres. Il se poursuit
par une montée qui débouche sur un grand terrain dégagé.
Et rapidement apparaissent des bâtiments. Paul arrête la voiture. En
face des deux policiers, se trouve ce qui semble être un entrepôt de couleur
blanche; et en arrière duquel on peut voir une partie des serres. L’entrepôt n’est
pas une construction récente, la peinture est écalée par endroit. Il y a une grande
porte coulissante à droite, pour laisser entrer les véhicules et à gauche une
autre plus petite qui doit mener aux bureaux ou aux ateliers de travail. Ni à
gauche ni à droite on ne peut voir de la lumière.
Roxanne a la main sur la poignée de sa portière.
-Une fausse alerte ?
-Je ne sais pas; allons voir.
Ils sortent du véhicule. Roxanne se dirige vers la droite comme
pour contourner le bâtiment. Paul se dirige vers la petite porte.
Qu’est-ce
que ça veut dire ? Elle n’est même pas verrouillée…
Il pénètre dans un bureau, dans ce qui a été jadis un bureau. Il n’y
a quel deux chaises, une vieille table de travail, des outils qui traînent des
affiches sur les murs de femmes en petites tenues; des papiers de toutes sortes
jonchent le sol. Il voit une autre à droite qui donne sur l’entrepôt comme tel.
Il l’ouvre… mais il n’aura pas le temps d’aller beaucoup plus
loin.
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