lundi 5 mars 2018


Cela se passait près d’un lac
Chapitre 20

                -Alors ?...
                Roxanne regarde son père avec un mélange de fébrilité et de nervosité; elle a senti, presque malgré elle, monter son niveau d’adrénaline. Paul a arrêté la voiture sur le côté de la route; il reste silencieux quelques secondes comme s’il cherchait au fond de son entendement les mots justes à prononcer.
                -C’était qui ?
                -C’était Anne-Rose… la jeune serveuse du restaurant.
                -Hmm…
                -Elle a dit qu’elle était dans la salle de bain, et qu’elle devait se dépêcher; elle a simplement dit : « Allez voir la Montée Jodoin; la Montée Jodoin… ». C’est tout; c’est tout ce qu’elle a dit.
                Roxanne tape le nom de la route et un petit voyant rouge apparaît sur le plan du village à l’écran de son ordinateur.
                -C’est ici, c’est tout prêt; c’est… disons à moins d’un kilomètre du village, du côté sud; de l’autre côté.
                Sans attendre, Roxanne retape une autre commande sur le clavier de l’ordinateur; très vite un résulte s’affiche.
                -Et « comme par hasard », c’est là que se trouvent les serres d’Edmond Picard. Qu’est-ce que tu dis de ça ?
                Paul reprend le cours de ses pensées.
                -Il faut qu’elle fasse attention; il faut la protéger, elle et peut-être en danger.
                -Qui ça ? Anne-Rose ?... Tu crois vraiment ?...
                -Je ne sais pas… Je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose… Elle mérite de s’en sortir... Je vais appeler Sabrina et Benoît pour qu’ils se rapprochent… En fait, non; on va les retrouver.
                En quelques instants, Paul a stationné la voiture près de celle de ses deux agents en fonction du côté nord de Brébeuf.
                -Salut chef !
-Alors, comment ça se passe ?
-Pas trop pire… C’est assez calme. Quelques excès de vitesse, et quelques regards mauvais, mais c’est tout.
-OK, vous arrêtez pour l’instant. Vous attendez cinq ou six minutes après qu’on soit parti rejoindre Turgeon et Isabelle, et vous irez vous stationner devant l’édifice municipal, en faisant semblant d’en exercer la surveillance.
-En faisant semblant ?...
-Oui, parce ce que de là vous aurez une excellente vue sur le restaurant Chez matante, qui est de biais, de l’autre côté de la rue principale; c’est ça que vous devez surveiller, et pas l’édifice de la municipalité. Je ne sais pas, mais peut-être qu’il y a une jeune personne en danger. Vous intervenez si vous voyez une présence suspecte, surtout, par exemple, l’un des deux frères Couture, ou alors quelqu’un qui ne viendrait pas au restaurant pour manger… Est-ce que vous comprenez ?
-Oui chef, je crois. Vous ne voulez pas qu’on se fasse voir, c’est ça ? Vous voulez qu’on voit sans être vu…
-Oui, c’est tout à fait ça.
-Comptez sur nous !

Paul et Roxanne rembarquent dans leur voiture et repartent en sens inverse; ils retraversent le village comme s’ils avaient l’intention de s’en aller. Sans le voir avec précision, ils se doutent bien que de nombreuses paires d’yeux les regardent à travers les fenêtres et les rideaux. À la sortie de Brébeuf, Paul stationne près de la deuxième voiture, celle de Félix Turgeon et d’Isabelle Dumesnil.
-Bonjour Roxanne !
-Bonjour chef !
-Bonjour à vous deux !
-Quel bon vent vous amène ?
-Un vent contraire qui fait que je vais avoir besoin de vous. On arrête l’opération sécurité pour plus urgent. Roxanne et moi, nous allons faire un tour sur la Montée Jodoin; regardez c’est là sur le plan, à moins d’un kilomètre. On y va et vous nous suivez à deux minutes d’intervalle. Mais vous irez vous stationner ici à l’embranchement du chemin Jodoin et de la 323; laissez votre moteur tourner et restez en contact. On vous tiendra au courant de notre progression par radio; je ne sais pas ce qu’on trouvera, alors soyez prêts à intervenir à la première alerte.
-Compris chef; on sera prêts.
-Sabrina et Benoît ont aussi arrêté l’opération sécurité et ils sont maintenant au centre du village à faire de la surveillance, mais vous serez aussi en contact avec eux, au cas où on ait besoin d’eux.

Une fois ses directives données et ces équipes en place, Paul remonte dans sa voiture; avec sa fille assise à côté de lui, il se dirige vers la Montée Jodoin. Ils y arrivent en moins d’une minute.
-C’est là, à gauche.
-Oui, je vois; allons-y.
La Montée Jodoin commence par une côte courte mais abrupte; le chemine grimpe rapidement, de bosse en bosse; aussi il sinue constamment entre les bosquets de conifères. Il y a peu d’habitations; Paul et Roxanne aperçoivent d’anciens bâtiments de ferme à l’abandon, puis une maison récente et proprette située sur une petite butte; sous la neige on devine la forme d’une piscine.
-Attention, on approche… les serres sont juste là après le prochain tournant… Voilà, c’est ici.
Paul stoppe devant une entrée qui rapidement tourne vers la droite pour se mettre à l’abri des arbres. Une barrière métallique à moitié démontée dont la fonction serait de fermer l’entrée est grande ouverte sur le côté. Par-dessus le tout il y a une grande affiche en bois faite à la main, annonçant, simplement en lettres noires « Serres Picard; Tomates et laitues ». Roxanne et la première à descendre, suivie de son père.
-Ça a presque l’aire abandonné.
-C’est vrai.
-Et en plus, on ne peut dire qu’on voit grand-chose; tout est dissimulé derrière les arbres.
-Au contraire, ma fille… Regarde par terre…
-Par terre ?
-Regarde la neige…
-Il n’y a pas de traces !
-C’est ça… Pas de traces, ni de pneus ni de pas. Ce qui veut dire que probablement il n’y a personne.
Paul prend son micro accroché à sa veste.
-Isabelle ? Turgeon !? Vous êtes là ?
-Oui, chef !
-On y est, il semble que le nid soit vide. Mais on va tout de même aller voir. On reste branchés

Paul et Roxanne remontent dans leur voiture et s’avancent sur le petit chemin des serres Picard à petite vitesse. Le chemin tourne rapidement à droite, pour ensuite retourner vers la gauche à travers les arbres. Il se poursuit par une montée qui débouche sur un grand terrain dégagé.
Et rapidement apparaissent des bâtiments. Paul arrête la voiture. En face des deux policiers, se trouve ce qui semble être un entrepôt de couleur blanche; et en arrière duquel on peut voir une partie des serres. L’entrepôt n’est pas une construction récente, la peinture est écalée par endroit. Il y a une grande porte coulissante à droite, pour laisser entrer les véhicules et à gauche une autre plus petite qui doit mener aux bureaux ou aux ateliers de travail. Ni à gauche ni à droite on ne peut voir de la lumière.
Roxanne a la main sur la poignée de sa portière.
-Une fausse alerte ?
-Je ne sais pas; allons voir.
Ils sortent du véhicule. Roxanne se dirige vers la droite comme pour contourner le bâtiment. Paul se dirige vers la petite porte.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Elle n’est même pas verrouillée…
Il pénètre dans un bureau, dans ce qui a été jadis un bureau. Il n’y a quel deux chaises, une vieille table de travail, des outils qui traînent des affiches sur les murs de femmes en petites tenues; des papiers de toutes sortes jonchent le sol. Il voit une autre à droite qui donne sur l’entrepôt comme tel.
Il l’ouvre… mais il n’aura pas le temps d’aller beaucoup plus loin.

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