lundi 21 avril 2014

Les balayeurs des cœurs perdus

                Ce matin-là, comme tous les matins, alors que le soleil pointe à l’horizon, l’équipe de garde des balayeurs des cœurs perdus s’est préparée; c’était comme d’habitude. Chaque sous-équipe a pris ses balais et s’est mise en route pour balayer les cœurs perdus durant la nuit. Chaque balayeur – et j’emploie le masculin même s’il y a quelques femmes dans l’équipe des balayeurs des cœurs perdus – a enfourché non pas son balais mais son tricycle en sifflotant, car ils sont écologiques les balayeurs des cœurs perdus, équipé d’un balais, d’une pelle et d’un grand bac bleu. Ils quadrillent la ville et la parcourent dans tous les sens, allant dans tous les coins, tout en sachant bien, les balayeurs des cœurs perdus, qu’il y a certains quartiers où il y a bien plus de cœurs perdus à balayer que d’autres.

                Mais ce matin-là, contrairement à d’habitude, contrairement à tous les autres matins, c’est toute une surprise qui attendait les balayeurs des cœurs perdus ! Les balayeurs des cœurs perdus n’ont rien trouvé à balayer ! Stupeur et consternation ! Ébahissement et étonnement ! Stupéfaction et ahurissement ! Ni dans les rues, ni sur les trottoirs, ni dans les ruelles, ni même dans les parcs, ni même dans les fonds-de-cours. Rien; on a regardé deux fois plutôt qu’une dans les fossés, sous les buissons, dans tous les coins et les recoins. Pas le moindre petit morceau minuscule de cœur perdu à balayer !

                Tout penauds et vexés, désarçonnés et décontenancés, confus et piteux, qu’ils étaient les pauvres balayeurs des cœurs perdus. Ah oui, ils étaient bien ennuyés les balayeurs des cœurs perdus ! Ah oui, elles étaient bien ennuyées les balayeuses des cœurs perdus !

                Alors ils sont revenus vers le centre de répartition, en se retournant continuellement juste au cas où, les yeux rivés vers le sol, et espérant, espérant encore qu’ils n’avaient pas la berlue, qu’ils ne rêvaient pas, qu’ils n’étaient pas en prise avec une hallucination collective.

                Qu’est-ce que voulez messieurs-dames ? Qu’est-ce que voulez que je leur dise pour les consoler ces pauvres balayeurs des cœurs perdus ? Qu’est-ce que voulez que je leur dise pour leur remonter le moral?

Peut-être tout simplement, après tout, que les cœurs perdus sont passés de mode. Ce sont des choses qui arrivent, n’est-ce pas ?

                Peut-être bien que je devrais leur dire qu’ils devraient se recycler les balayeurs des cœurs perdus. Peut-être qu’ils devraient se mettre à balayer les rayons fanés qui tombent du soleil sur les trottoirs et sur les rues, et dans les parcs et les arrière-cours depuis quelque temps. Ça, ça serait très utile après tout : on ne l’a peut-être pas remarqué, mais ils tombent en nombre de plus en plus grand chaque jour et personne ne fait rien !
                 


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