lundi 14 juillet 2014

L’annonce

                Soir d’automne. Vent de tumulte; à l’aide de la pluie il fouette le visage et le dos des passants attardés. Il y en a un qui marche; qui court presque; il est pressé. Il a le dos courbé; il a enfoncé son chapeau sur sa tête et relevé son col. Les feuilles mortes s’accrochent à ses jambes comme des sangsues séchées. Il ne s’arrête pas; il serre un objet dans la poche de son imperméable. Un objet précieux.
                Un sentier qui bifurque entre deux haies dont les buissons ouvrent grand leurs mâchoires dégoulinantes. Rires lugubres qui en sortent. Aux rares moments où la lune trouve une trouée à travers les nuages, les crocs miroitent. L’homme surveille mais ne ralentit pas.
                Une grille de fer. Immense, difforme. L’homme la pousse en hésitant un peu; elle se plaint et résiste. L’homme pousse plus fort, il bande les bras, s’arc-boute et use de son poids. La grille ne bronche pas. Il tremble, il sue, il s’efforce davantage; son pied glisse et il manque de tomber. Ses jambes flageolantes ne le portent plus. En arriver là ? Il s’appuie sur un pilier, la main au front. La grille s’ouvre.
                L’homme se sent mieux et pourtant il n’entend rien encore.
                Il remarque soudain que la clarté d’une lampe éclaire le chemin qui mène au perron. Il vérifie l’adresse.
                « C’est bien là, pense-t-il; je vais enfin savoir. »
                Il cogne et il sursaute; le bruit lui a fait mal.
                La réponse tarde, serait-ce inhabité ? Il n’entend toujours rien et ne voit aucune lumière s’allumer ni se déplacer; il ne sent plus rien.
                Mais la porte s’ouvre sans grincer. Rien n’aurait pu laisser croire qu’elle s’ouvrirait, comme si quelqu’un s’était tenu caché derrière de longs moments pour observer le visiteur.
                « Bonsoir, madame. 
-Bonsoir.
-Je… je viens pour l’annonce.
-Entrez. »
La femme lui paraît-elle suspecte ?
Mais bientôt sa voix change pendant qu’il la suit à l’intérieur.
« Vous savez je m’y attendais un peu. Personne ne vient plus guère ici, même "pour l’annonce" comme vous dites. J’espère une introduction toujours plus originale. Vous avez des feuilles accrochées à votre pantalon. Vous n’êtes guère original, monsieur, mais seriez-vous venu…? Faut-il se contenter maintenant seulement de ce qui vient. Est-ce qu’il pleut ?
-Oui, il pleut.
-Vous devez être trempé; je suppose que vous ne voulez pas enlever votre imperméable…
-Non.
Elle s’arrête.
« C’est ici, dans cette pièce. Il y a plusieurs jours que ne l’ai pas ouverte.
                -Est-ce qu’il y en a eu plusieurs avant moi ?... Je ne devrais peut-être pas poser de questions.
-Non, mais vous êtes venu.
C’est une grande porte, grise, avec la clef dans la serrure.
« La clef…
-Oui, la clef.
-J’ai froid. C’est peut-être à cause de la pluie.
-Croyez-vous.
                -Non.
L’homme regarde la porte. Il s’y attendait, mais il a peur. Il n’aurait pas pensé qu’il aurait eu si facilement peur. « Ça doit être à cause de la nuit, du lieu, pense-t-il; mais il n’y croit pas, ni à ce qu’il pense, ni à ce qu’il ressent. Il ne croit même plus à cette annonce. Ah non ! il faut y croire, même si j’ai peur. »
« Peut-être que c’est trop facile, se dit l’homme.
                -Avez-vous pris ce que vous deviez apporter ?
-Mais bien sûr !
-Alors ça va.
Il contemple la porte. La femme comme commence à s’éloigner.
Il dit précipitamment : « Voulez-vous que je vous le donne tout de suite ? C’est là dans ma poche.
                -Non ce n’est pas la peine. Je viendrai le récupérer moi-même tout à l’heure.
                La porte. Toujours le porte. Il faut qu’elle s’ouvre. La femme s’apprête encore à partir.
                « Est-ce que c’est gros ?
-Je vais me coucher. Je vais dormir.
-Vous dormez uniquement quand…?
-Évidemment, sinon je vous entends.
Elle s’en va; dans un autre couloir à  droite, elle monte un escalier que l’homme n’avait pas remarqué. Elle gravit péniblement, une par une les marches de cet escalier qui semble interminable. Il pleut toujours.
Alors, l’homme ouvre la porte. Brusquement. Impulsivement. La poignée le brûle et ne résiste pas. Elle le tire vers l’intérieur; il en reste un peu surpris. Il pense à enlever son imperméable et il le fait, mais il doit lâcher la poignée. La porte se ferme et, de l’extérieur, le bruit sourd d’une lourde porte grille réponde à son claquement.
La vieille femme, en haut de l’escalier, s’est assise sur le palier.
« Enfin… »
Elle sort une page de journal froissée, cent fois pliée et repliée, de la poche de son tablier.
Et l’homme tend la main et ouvre la boite à musique.
La femme replie délicatement le papier. L’homme se sent bien. Il écoute et il se sent bien.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire