dimanche 19 avril 2015

Le crime du dimanche des Rameaux

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-Est-ce que vous êtes Nancy Fournier ?
En entendant son nom, toute à ses pensées et ses préoccupations, Nancy sursaute. Elle se retourne. Roxanne se retrouve face à une jeune femme à peu près de son âge, les traits tirés, les cheveux défaits, les yeux gros; des restes de maquillage maculent son visage; elle esquisse un petit rictus gêné. Elle est bien habillée avec un pantalon noir de saison ajusté et une sorte de chemisier dans les tons de brun dont la ceinture se remonte et vient s’enrouler autour du cou comme un foulard. Un vêtement original, en lin probablement, qu’elle avait mis pour aller à l’église. Elle porte une chaine autour du cou à laquelle pend un bijou de fabrication artisanale.
-Excusez-moi, je ne voulais pas vous faire peur… Je suis Roxanne Quesnel-Dumont, dit-elle en lui tendant la main, officière de la Sureté du Québec. Je vous regarde depuis un moment et ce que je vous vois bien inquiète.
Nancy serre mollement sa main.
-Comment savez-vous mon nom ?
-Dès que nous sommes arrivés à Noyan ce matin à la suite d’un appel d’urgence, nous avons commencé notre investigation. Quand nous avons fouillé la demeure du pasteur, nous avons quelques indices qui faisaient référence à une certaine « Nancy » et…
-Ah oui ! Comme quoi ?
-Et bien… mais assoyons-nous, Nancy, car vous êtes Nancy Fournier, n’est-ce pas ?
-Oui.
-Et bien, pour répondre à votre question, quand je suis descendue au sous-sol, j’ai vu des feuilles de musique sur un lutrin. Il semble qu’hier soir Sébastien Saint-Cyr s’est mis à composer un morceau de musique, en fait il composait une chanson, et la chanson avait pour titre un seul mot : « Nancy »…
-C’est vrai !?
-Oui, c’est vrai; et au cours des interrogatoires et de nos conversations avec divers habitants de Noyan, nous avons découvert qu’il n’y avait qu’une seule Nancy à Noyan, une certaine Nancy Fournier.
-Et vous m’avez trouvée.
-Je ne vous cherchais pas. En fait, je ne pensais pas vous trouver ici... J’avais pas mal fait tout ce que je voulais faire à Noyan et avant de terminer ma journée j’ai décidé de venir ici, à l’hôpital, pour avoir des nouvelles du blessé. On m’a dit en bas, qu’il y avait quelqu’un qui avait passé toute la journée ici dans la salle d’attente. Je suis montée et je vous ai vue. Je suis contente de vous voir Nancy.
-Pourquoi ?
-J’ai besoin d’en savoir plus sur la personnalité de Sébastien Saint-Cyr. Voudriez-vous répondre à quelques questions.
-Si ça peut vous aider.
-Dites-moi ce que vous savez de lui; qui êtes-vous pour lui ?
Nancy hésite un peu; elle semble ramasser ses idées. Ah, ça ne doit pas être facile.
-Nous sommes… je ne sais pas trop; nous formons un couple, oui c’est vrai, mais nous ne formons pas un vrai couple. Personne à Noyan n’est au courant; il n’y a que ses parents qui le savent!
-Comment vous êtes-vous rencontrés ?
-Le plus simplement possible. Noyan est un petit village. Je savais bien que l’ancien pasteur avec pris sa retraite et qu’il avait été remplacé, mais moi ça ne m’intéressait pas; je n’étais pas de ceux qui vont fréquentent l’église. Je suis la secrétaire de la municipalité.
-Oui, je l’ai appris aujourd’hui.
-Il est simplement venu un jour demander des informations sur la population, et ça a « cliqué » entre nous. Ce n’était pas vraiment un coup de foudre, parce que… un pasteur, ça ne me disait pas grand-chose, et puis je sortais d’une relation qui n’avait pas été facile. Mais bon, on s’est revus quelques semaines plus tard et on très vite est tombés amoureux.
-Qu’est-ce qui vous a attiré chez lui ?
-Au début sa sincérité, son honnêteté.
Devant l’air un peu surpris de Roxanne, Nancy précise.
-Vous savez dans un petit milieu comme Noyan où tout le monde connaît tout le monde, alors on veut se prouver qu’on est meilleur que ce que les gens savent de nous. On en arrive à jouer un jeu, des jeux, pour se montrer bon, pour sa réputation, pour toutes sortes de raisons. Tout le monde joue un jeu à Noyan, je ne dis pas qu’ils sont tous des hypocrites, mais c’est comme ça. Mais chez Sébastien, ce n’était pas du tout la même chose. Il ne jouait à rien. Il n’avait rien à cacher, rien à prouver. Il était... « intègre ». Il était bon avec tout le monde. Il était adorable avec moi. Je l’aime beaucoup.
-Dites-moi une chose, pourquoi ne teniez-vous pas à ce que les autres sachent que vous entreteniez une relation…
-Au début, c’était moi qui ne voulais pas. Comme je vous l’ai dit, tout ce sait à Noyan, et je connais le pouvoir, les impacts des langues sales, des commérages… Il n’était pas tout à fait d’accord; il n’avait rien à cacher. Mais ensuite, il a fini par se rallier, il a compris que c’était mieux comme ça. Pour moi et pour lui.
-Et vous arriviez à vous voir ?
-Oui, on est allé souvent à Montebello, ou à Gatineau, même à Montréal, et une fois chez ses parents à Laval. Ça c’était une belle journée. Ces parents aussi sont charmants. Ici, personne ne nous a jamais vus, personne ne le sait. Nous avons été très discrets. C’est pour ça que j’ai été un peu étonnée qu’il ait mis mon nom sur sa feuille de musique. Quand nous nous croisons dans le village, on faisait comme si de rien n’était. Jamais à l’église il n’a fait le moindre geste compromettant. Quand je vais chez lui, c’est toujours pour des « raisons officielles ». Et quand il chez moi, je passe le chercher avec ma voiture et dans le fond de ma longue entrée, et comme ma maison fait face au lac, personne ne peut le voir descendre de la voiture. Quand nous prenons un chocolat chaud sur mon balcon qui donne sur le lac, personne ne peut nous voir.
-Je vous crois Nancy, mais…
-Mais quoi ?
-Et bien, plusieurs fois dans l’après-midi, j’ai entendu des choses qui ne concordent pas avec ce que vous me dites. Jusqu’ici je croyais qu’il collectionnait les conquêtes et qu’il n’était pas très discret.
-C’est exactement ce que je vous ai dit sur le radotage d’un milieu tricoté trop serré. Ce sont des accusations sans fondements; de la médisance, juste des ragots ! Rien de ce qu’on vous a dit n’est vrai. On a du vous parler des jumelles Godin. C’est  faux. Les gens ont tellement envie de déblatérer, de dénigrer ! Les gens sont jaloux !
-Oui, probablement.
-C’est vrai ! Il ne s’est rien passé avec les jumelles Godin. Sébastien était allé leur rendre visite, et il y a eu une tempête de neige et il s’est retrouvé bloqué au fond de leur rang qui n’était pas déblayé. Alors, elles l’ont fait souper et il a passé la nuit dans la chambre d’amis. Le lendemain on a déblayé le chemin. Quelques jours tard, à l’épicerie, l’une des jumelles, qui sont deux vieilles filles à la vie passablement monotone, en racontant l’histoire à sa façon, a dit : « Je n’en ai pas dormi de la nuit ! » Ça a suffit pour que la rumeur s’enflamme et qu’elle ne s’éteigne pas.
-Et j’ai entendu parler d’une Micheline.
-Micheline ?! C’est la conjointe de Popeye; lui, c’est un beau fanfaron, jamais Sébastien n’a fait la cour à sa femme, c’est sûr et certain. Pourtant...
-Pourtant…?
-Pourtant rien; je ne veux pas en parler; ça n’a rien à voir avec Sébastien.
-Donc les autres comme la maîtresse d’école ou la veuve DeMerritt ?...
-C’est n’importe quoi ! Ne croyez pas un mot de tout ça. Sébastien était gentil avec tout le monde, avec les femmes comme avec les hommes; mais les hommes de Noyan, ils n’ont pas l’habitude qu’on soit gentil avec leurs femmes alors ils ont cru que Sébastien leur faisait de l’œil; c’est qu’il avait du charme, mais jamais pour courtiser les femmes du village ! La veuve DeMerritt, même ses enfants ne vont pas la voir et Sébastien, il s’est occupé d’elle !
Juste à ce moment, un médecin arrive.
-Est-ce que vous êtes de la famille de monsieur Saint-Cyr ?
-Ses parents s’en viennent, voici sa conjointe Nancy Fournier, avance Roxanne sans trop mentir.
-L’opération a été difficile; nous avons essayé de réduire la pression sur sa boîte crânienne et sur son cerveau en enlevant le sang et les caillots, et en travaillant sur la fracture du crane. Il n’est pas sorti d’affaire. Il est encore dans le coma et on ne sait pas pour combien de temps, quelques heurs, quelques jours… Nous l’avons transférer aux soins intensifs où il va rester cette nuit. Il faudra le réopérer demain pour ses autres blessures, la mâchoire, la clavicule, son poignet; ce n’est pas si grave mais il faut réduire les fractures. Pour l’instant on ne peut rien faire d’autre.
-Merci docteur.
Le médecin parti, Nancy soupire : Je l’aime beaucoup. J’espère qu’il va s’en sortir.
-Il faut le croire… Je sais que je peux vous faire confiance et je voudrais que vous fassiez confiance aussi. Vous savez, j’étais la première, après les paramédiques, à descendre dans le sous-sol où on a retrouvé Sébastien. Une fois l’ambulance repartie, j’ai fait une inspection plus poussée du presbytère et quelques indices me font penser que peut-être Sébastien n’était seul hier soir…
Nancy la regarde comme hébétée.
-Ça veut dire qu’on l’a poussé en bas de l’escalier !!!
-Je ne sais pas encore, je n’ai aucune preuve; et il me manque trop de morceaux du casse-tête, mais je pense que vous pouvais m’aider.
-On l’aurait poussé...
-Je ne sais pas Nancy, je n’ai aucune preuve. Est-ce que ce serait possible ?
-Ces derniers temps, il avait eu de gros problèmes avec le Conseil; ils avaient réduit son poste à un demi-temps, sans même lui en parler. Et ses conditions de travail avaient changé. Laurent Groulx ne le lâchait pas, toujours après lui; il fallait qu’il rendre des comptes sut toutes ses activités. Laurent voulait qu’il parte. Il voulait même faire passer une motion pour le faire partir lors de la dernière assemblée générale, mais les autres membres du conseil ont dit que c’était irrecevable. Mais il n’aurait jamais fait ça, je veux dire le pousser dans l’escalier. C’est impossible !
-Je ne crois pas non plus. Il est peut-être allé le voir hier soir, mais je ne crois pas que Laurent Groulx aurait pu le pousser.
-Ces dernières semaines il étai très tendu, plus nerveux; il ne le laissait pas le voir, mais moi je le savais. Lui qui a un tel sens de l’humour et qui me fait tellement rire ! Si je vous disais tout ce qu’il m’a raconté la nuit.
-Est-ce que ce que quelqu’un lui aurait fait des menaces ? Est-ce qu’il vous en a parlé ?
-Non… non… personne, ne lui a fait des menaces, il n’a jamais parlé de ça; c’était dû aux difficultés avec le Conseil.
-C’est peut-être le temps de rentrer Nancy, on a eu toutes les deux une longue journée. Allez-vous rentrer à Noyan ?
-Oui, je dois travailler demain, mais je reviendrai ici tout de suite après.
-Une dernière chose : est-ce qu’il s’est passé un événement ces derniers temps, par exemple, un téléphone ou une lettre ou une visite, quelque chose d’inhabituel qui serait arrivé ?
-Non, je ne vois pas…
-Vous pensez à quelque chose.
-Ce n’est rien, c’est juste un détail.
-Dites toujours, tout peut aider.
-Ben c’est juste que, il y a trois semaines il a eu un accident…
-Un accident ?
-Oui, un accident de voiture. Il était parti faire des visites dans le chemin Vinoy et là il a glissé sur une plaque de glace, l’hiver n’était pas encore fini, et la voiture est tombée dans le fossé. Lui, il n’a rien eu, juste une bosse sur le front en frappant le pare-brise, mais la voiture était assez abimée. Il a du la laisser une semaine entière au garage.
-Merci beaucoup Nancy. Essayez de dormir.

Aussitôt rendue dans sa voiture Roxanne téléphone à son père pour le mettre au courant de cette conversation. Après cinq coups, elle raccroche.

-Qu’est-ce qu’il lui prend au paternel ? Il découche maintenant ?

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