lundi 18 avril 2016

Les petits enfants
Chapitre 16




Le réveille-matin de Roxanne sonne à 6h45 en ce lundi matin. Roxanne l’éteint d’un doigt incertain et autoritaire à la fois. Elle ouvre les yeux, souriant au petit matin, se sentant de très bonne humeur. La fin-de-semaine avec Fabio s’est bien passée. Il était content, vraiment, de la revoir. Il a été gentil tendre, affectueux, attentionné. Il avait cessé ses activités pour lui consacrer, et à elle seule, toute la fin de semaine. Elle ne désirait pas tellement coucher dans le petit réduit qu’il occupe et qu’il a aménagée en chambrette dans le centre d’art-coopérative où il vit et travaille depuis son retour Montréal. Alors elle avait loué une chambre dans un hôtel dans le sud-ouest de la ville près de l’autoroute et il y était venu sans problème. Il avait pris quelques affaires pour se changer, sa brosse à dents. Il a l’air de bien se porter, s’était-elle dit; il a l’air de bien manger. Bien sûr, il avait commencé par l’inviter à venir voir son atelier; il lui a montré son travail et elle a trouvé ça bien : ce sont des collages ou plutôt des montages faits avec des objets récupérés, du plastique, du caoutchouc, du métal, des morceaux brisés des divers matériaux. C’est très original, n’a pu s’empêcher de constater Roxanne. Ses créations ne sont jamais de formes géométriques, jamais carrées ou rectangulaires comme des toiles; elles prennent toutes sortes de formes : ovales, rondes, biscornues, selon ce en quoi résulte l’agencement. Ce sont des œuvres mi-peinture, mi-sculpture, mi-assemblage. Ça ressemble à des animaux, des paysages, des villes, des personnages, des mouvements, comme si Fabio pouvait faire sortir ce qu’il voulait d’un peu n’importe quoi. C’est un art contestataire certes, mais pas agressant, presque apaisant, qui pousse surtou à réfléchir sur la finalité des choses, sur leur valeur intrinsèque, et donc sur celles de nos vies. Il a vraiment du talent, a-t-elle souri, impressionnée.
 Ils ont passé une nuit d’amoureux comme elle, et probablement lui non plus, n’en avaient pas eue depuis longtemps, avec juste assez de passion, juste assez de fougue, et sans rien de factice. Il avait été content de lui faire à manger, de lui prépare une recette de chez lui, une authentique soupe au pozole, ce maïs blanc très nutritif, qui trouve son origine chez les Aztèques. Le samedi après-midi, ils sont simplement allés aux Îles de Boucherville faire une longue promenade main dans la main; ils ont redécouvert le plaisir, le bonheur, d’être ensemble à écouter les oiseaux, à regarder l’eau du fleuve couler. Ils avaient plein de choses à se reconter et ont ri comme deux enfants. Et elle n’a pas parlé de son travail. Il lui a demandé comment aller son père et lui a recommander de le saluer. Pendant un moment, elle a pensé qu’ils pourraient aller voir sa mère qui vit à Saint-Bruno, mais elle ne lui avait pas téléphoné avant de partir et ce sera pour la prochaine fois.
Roxanne met la cafetière en route. Elle se dit que vendredi, elle n’a pas perdu son temps non plus, qu’elle a bien avancé. Juliette la bibliothécaire/guide touristique de Lac-des-Sables est décidément mine inestimable et intarissable d’information. Quelle sagacité ! Et puis son je-ne-sais-quoi d’aisance qui lui donne un charme fou.
Roxanne pense à tout ce que Juliette lui a partagé; son intuition lui dit que la solution se trouve dans ce que Juliette lui a dit, dans petit un détail, un fil qui lui faut tirer, une piste qu’elle doit suivre; il suffit juste de trouver la bonne; elle sait qu’elle n’est pas loin d’y voir clair. Contrairement à son père qui est beaucoup plus pragmatique, qui possède une excellente capacité analytique, qui peut faire des liens alors que personne n’en voit, Roxanne est davantage intuitive, elle se fie sur sont instinct sur ce qu’elle « sent », ce qu’elle ressent. Ils se complètent assez bien. Normalement elle aurait dû tout-de-suite, à chaud, rendre compte de sa rencontre avec Juliette à son père et lui il y aurait réagi; c’est souvent comme ça qu’ils fonctionnent et qu’ils créent les étincelles qui font progresser les enquêtes ou qui mènent à la solution. Mais elle devait partir pour Montréal. Elle ne voulait pas faire attendre Fabio, ni l’appeler - surtout pas ! catastrophe ! - pour lui dire qu’elle sera en retard; c’est arrivé trop souvent qu’elle rentre tard le soir, ou que ses fins de semaine soient interrompues, et ça été trop dur pour leur couple. Elle aimerait bien sauver son couple, et Fabio aussi sans doute, mais elle ne peut pas faire ce que lui doit faire, mais elle peut faire ce qu’elle doit faire, et elle sait ce qu’elle doit faire : ne plus faire passer le travail avant l’amour… sauf exception. Hier, ils se sont quittés avec émotion, Roxanne plus convaincue qu’à son arrivée que Fabio ne reviendra pas à Papineauville. Est-ce que c’est comme ça que sera leur vie de couple, de façon intermittente, en deux endroits différents ?
Roxanne se met en grand uniforme aujourd’hui, avec cravate, épinglette, et souliers bien cirés; elle attache bien ses cheveux pour que pas un ne dépasse, et dépose tout juste un soupçon de fond de teint sur ses pommettes. Qui veut-elle bien impressionner ? Elle ouvre la porte de sa voiture et démarre. Il fait beau et elle conduit machinalement; depuis le temps, elle connaît la route par cœur jusqu’au poste de la Sureté du Québec; le trajet qui n’est pas très long, à peine dix minutes.
Elle salue Jocelyne à l’entrée et les autres collègues qui arrivent en même temps.
-Alors Isabelle, ça avance ?
-Je continue d’éplucher les dossiers. Pour l’instant je n’ai trouvé de compromettant. On se voit tout-à-l’heure ?
-Bien sûr.
Roxanne a une demi-heure avant la rencontre hebdomadaire du lundi matin pour prendre les messages qui se sont accumulés.

Après la rencontre du matin, qui a duré une heure comme d’habitude, Isabelle arrive dans son bureau.
-Allons mettre mon père au parfum
-D’accord.

Roxanne fait la bise à son père. Celui-ci remarque sa tenue impeccable.
-Tu as passé une bonne fin de semaine ?
-Oui, excellente; ça m’a fait du bien.
Les jeunes femmes s’assoient devant son bureau.
-Alors, qui commence ?
-Moi, je vais commencer. J’ai pris tout ce qui pouvait nous intéresser dans les archives de la municipalité à partir de la fin de 1977 jusqu’au début de 1979, pour vraiment tout couvrir. Je continue à tout éplucher; mais vraiment je ne vois rien de particulier. Rien d’illégal en tout cas. Oui, en étant pointilleux, on trouverait beaucoup de connivences, bien des entourloupettes; par exemple, ce sont toujours les mêmes compagnies qui obtiennent les contrats. Ça peut être parce que les options sont limitées remarque bien.
-Oui, c’est vrai.
-Ce qui est sûr, ce que c’était une période de grande effervescence. Il s’est octroyé plus de permis de construction ou de rénovation ou d’excavation cette année-là que durant les cinq années précédentes. Ce qui est intéressant, c’est le nombre d’individus qui ont demandé de rénover ou d’agrandir leur maison ou leur établissement commercial. Ou alors plusieurs qui voulaient se construire le long de la nouvelle route. Le village a dû considérablement changer d’allure à cette époque.
-La question des établissements commerciaux sera à creuser. Est-ce qu’il y en a par exemple qui ont fermé ou des nouveaux ont été ouverts…
-Qu’est-ce qu’on dit sur le camping ?
-Ouais; par grand-chose. D’après moi, les gens faisaient un peu ce qu’ils voulaient.
-À toi Roxanne…
Roxanne relate à Isabelle et son père le long entretien qu’elle a eu avec Juliette Sabourin, les photos qu’elle va chercher, l’atmosphère un peu Peace and Love, l’afflux des touristes, le fait qu’elle n’ait jamais entendu parler d’une disparition, son frère qui était impliqué dans le trafic de drogues…
-Hmmm… Et tu en conclus ?
-Pour l’instant rien d’autre que j’ai probablement rencontré la personne qu’il nous fallait, qu’elle est un contact inespéré.
-C’est quand même un peu fort : on retrouve un pauvre bougre enterré peut-être vivant dans un chantier mais il n’y aurait ni disparition, ni de violence. Et il semble qu’il n’y a jamais eu d’avis de recherche. Je commence à le croire qu’il est tombé du ciel !
-Vous avez bien travaillé toutes les deux, continuez. Surtout que le rapport du laboratoire devrait arriver aujourd’hui.
-Ça pourra aider.
-Il y avait aussi un appel du maire-adjoint qui a demandé à me parler, un certain Claude Parisien. Un vrai tourbillon ! Qu’est-ce que vous lui avez donc fait ?
-Bah, c’est un petit roitelet un peu misogyne qui ne voulait pas tellement qu’on vienne fouiller dans ses affaires; il joue les seigneurs offensés quand le maire est en voyage…
-En Nalaska !
-Bon très bien, je vois que sa plainte n’est pas très sérieuse.
Sur le pas de la porte Roanne se retourne :
-Tu devrais venir la rencontrer.
-Qui ça ?
-La bibliothécaire,
-Moi ?

-Oui, toi-même en personne.

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