Les petits enfants
Chapitre 16
Le
réveille-matin de Roxanne sonne à 6h45 en ce lundi matin. Roxanne l’éteint d’un
doigt incertain et autoritaire à la fois. Elle ouvre les yeux, souriant au
petit matin, se sentant de très bonne humeur. La fin-de-semaine avec Fabio
s’est bien passée. Il était content, vraiment, de la revoir. Il a été gentil
tendre, affectueux, attentionné. Il avait cessé ses activités pour lui
consacrer, et à elle seule, toute la fin de semaine. Elle ne désirait pas
tellement coucher dans le petit réduit qu’il occupe et qu’il a aménagée en
chambrette dans le centre d’art-coopérative où il vit et travaille depuis son
retour Montréal. Alors elle avait loué une chambre dans un hôtel dans le
sud-ouest de la ville près de l’autoroute et il y était venu sans problème. Il
avait pris quelques affaires pour se changer, sa brosse à dents. Il a l’air de bien se porter, s’était-elle
dit; il a l’air de bien manger. Bien
sûr, il avait commencé par l’inviter à venir voir son atelier; il lui a montré
son travail et elle a trouvé ça bien : ce sont des collages ou plutôt des
montages faits avec des objets récupérés, du plastique, du caoutchouc, du
métal, des morceaux brisés des divers matériaux. C’est très original, n’a pu
s’empêcher de constater Roxanne. Ses créations ne sont jamais de formes
géométriques, jamais carrées ou rectangulaires comme des toiles; elles prennent
toutes sortes de formes : ovales, rondes, biscornues, selon ce en quoi
résulte l’agencement. Ce sont des œuvres mi-peinture, mi-sculpture,
mi-assemblage. Ça ressemble à des animaux, des paysages, des villes, des
personnages, des mouvements, comme si Fabio pouvait faire sortir ce qu’il
voulait d’un peu n’importe quoi. C’est un art contestataire certes, mais pas
agressant, presque apaisant, qui pousse surtou à réfléchir sur la finalité des
choses, sur leur valeur intrinsèque, et donc sur celles de nos vies. Il a vraiment du talent, a-t-elle
souri, impressionnée.
Ils ont passé une nuit d’amoureux comme elle, et
probablement lui non plus, n’en avaient pas eue depuis longtemps, avec juste
assez de passion, juste assez de fougue, et sans rien de factice. Il avait été
content de lui faire à manger, de lui prépare une recette de chez lui, une
authentique soupe au pozole, ce maïs
blanc très nutritif, qui trouve son origine chez les Aztèques. Le samedi
après-midi, ils sont simplement allés aux Îles de Boucherville faire une longue
promenade main dans la main; ils ont redécouvert le plaisir, le bonheur, d’être
ensemble à écouter les oiseaux, à regarder l’eau du fleuve couler. Ils avaient
plein de choses à se reconter et ont ri comme deux enfants. Et elle n’a pas
parlé de son travail. Il lui a demandé comment aller son père et lui a
recommander de le saluer. Pendant un moment, elle a pensé qu’ils pourraient
aller voir sa mère qui vit à Saint-Bruno, mais elle ne lui avait pas téléphoné avant
de partir et ce sera pour la prochaine fois.
Roxanne
met la cafetière en route. Elle se dit que vendredi, elle n’a pas perdu son
temps non plus, qu’elle a bien avancé. Juliette la bibliothécaire/guide
touristique de Lac-des-Sables est décidément mine inestimable et intarissable d’information.
Quelle sagacité ! Et puis son
je-ne-sais-quoi d’aisance qui lui donne un charme fou.
Roxanne
pense à tout ce que Juliette lui a partagé; son intuition lui dit que la
solution se trouve dans ce que Juliette lui a dit, dans petit un détail, un fil
qui lui faut tirer, une piste qu’elle doit suivre; il suffit juste de trouver
la bonne; elle sait qu’elle n’est pas loin d’y voir clair. Contrairement à son
père qui est beaucoup plus pragmatique, qui possède une excellente capacité
analytique, qui peut faire des liens alors que personne n’en voit, Roxanne est
davantage intuitive, elle se fie sur sont instinct sur ce qu’elle
« sent », ce qu’elle ressent. Ils se complètent assez bien. Normalement
elle aurait dû tout-de-suite, à chaud, rendre compte de sa rencontre avec
Juliette à son père et lui il y aurait réagi; c’est souvent comme ça qu’ils
fonctionnent et qu’ils créent les étincelles qui font progresser les enquêtes
ou qui mènent à la solution. Mais elle devait partir pour Montréal. Elle ne voulait
pas faire attendre Fabio, ni l’appeler - surtout pas ! catastrophe ! - pour lui
dire qu’elle sera en retard; c’est arrivé trop souvent qu’elle rentre tard le
soir, ou que ses fins de semaine soient interrompues, et ça été trop dur pour leur
couple. Elle aimerait bien sauver son couple, et Fabio aussi sans doute, mais elle
ne peut pas faire ce que lui doit faire, mais elle peut faire ce qu’elle doit
faire, et elle sait ce qu’elle doit faire : ne plus faire passer le
travail avant l’amour… sauf exception. Hier, ils se sont quittés avec émotion,
Roxanne plus convaincue qu’à son arrivée que Fabio ne reviendra pas à
Papineauville. Est-ce que c’est comme ça que sera leur vie de couple, de façon
intermittente, en deux endroits différents ?
Roxanne
se met en grand uniforme aujourd’hui, avec cravate, épinglette, et souliers
bien cirés; elle attache bien ses cheveux pour que pas un ne dépasse, et dépose
tout juste un soupçon de fond de teint sur ses pommettes. Qui veut-elle bien impressionner
? Elle ouvre la porte de sa voiture et démarre. Il fait beau et elle conduit
machinalement; depuis le temps, elle connaît la route par cœur jusqu’au poste
de la Sureté du Québec; le trajet qui n’est pas très long, à peine dix minutes.
Elle salue
Jocelyne à l’entrée et les autres collègues qui arrivent en même temps.
-Alors
Isabelle, ça avance ?
-Je
continue d’éplucher les dossiers. Pour l’instant je n’ai trouvé de compromettant.
On se voit tout-à-l’heure ?
-Bien
sûr.
Roxanne
a une demi-heure avant la rencontre hebdomadaire du lundi matin pour prendre
les messages qui se sont accumulés.
Après
la rencontre du matin, qui a duré une heure comme d’habitude, Isabelle arrive
dans son bureau.
-Allons
mettre mon père au parfum
-D’accord.
Roxanne
fait la bise à son père. Celui-ci remarque sa tenue impeccable.
-Tu as
passé une bonne fin de semaine ?
-Oui,
excellente; ça m’a fait du bien.
Les
jeunes femmes s’assoient devant son bureau.
-Alors,
qui commence ?
-Moi,
je vais commencer. J’ai pris tout ce qui pouvait nous intéresser dans les
archives de la municipalité à partir de la fin de 1977 jusqu’au début de 1979,
pour vraiment tout couvrir. Je continue à tout éplucher; mais vraiment je ne
vois rien de particulier. Rien d’illégal en tout cas. Oui, en étant pointilleux,
on trouverait beaucoup de connivences, bien des entourloupettes; par exemple, ce
sont toujours les mêmes compagnies qui obtiennent les contrats. Ça peut être
parce que les options sont limitées remarque bien.
-Oui,
c’est vrai.
-Ce
qui est sûr, ce que c’était une période de grande effervescence. Il s’est
octroyé plus de permis de construction ou de rénovation ou d’excavation cette
année-là que durant les cinq années précédentes. Ce qui est intéressant, c’est
le nombre d’individus qui ont demandé de rénover ou d’agrandir leur maison ou
leur établissement commercial. Ou alors plusieurs qui voulaient se construire
le long de la nouvelle route. Le village a dû considérablement changer d’allure
à cette époque.
-La
question des établissements commerciaux sera à creuser. Est-ce qu’il y en a par
exemple qui ont fermé ou des nouveaux ont été ouverts…
-Qu’est-ce
qu’on dit sur le camping ?
-Ouais;
par grand-chose. D’après moi, les gens faisaient un peu ce qu’ils voulaient.
-À toi
Roxanne…
Roxanne
relate à Isabelle et son père le long entretien qu’elle a eu avec Juliette
Sabourin, les photos qu’elle va chercher, l’atmosphère un peu Peace and Love, l’afflux des touristes, le
fait qu’elle n’ait jamais entendu parler d’une disparition, son frère qui était
impliqué dans le trafic de drogues…
-Hmmm…
Et tu en conclus ?
-Pour l’instant
rien d’autre que j’ai probablement rencontré la personne qu’il nous fallait, qu’elle
est un contact inespéré.
-C’est
quand même un peu fort : on retrouve un pauvre bougre enterré peut-être
vivant dans un chantier mais il n’y aurait ni disparition, ni de violence. Et
il semble qu’il n’y a jamais eu d’avis de recherche. Je commence à le croire qu’il
est tombé du ciel !
-Vous avez bien travaillé toutes les deux,
continuez. Surtout que le rapport du laboratoire devrait arriver aujourd’hui.
-Ça
pourra aider.
-Il y
avait aussi un appel du maire-adjoint qui a demandé à me parler, un certain Claude
Parisien. Un vrai tourbillon ! Qu’est-ce que vous lui avez donc fait ?
-Bah,
c’est un petit roitelet un peu misogyne qui ne voulait pas tellement qu’on
vienne fouiller dans ses affaires; il joue les seigneurs offensés quand le
maire est en voyage…
-En
Nalaska !
-Bon
très bien, je vois que sa plainte n’est pas très sérieuse.
Sur le
pas de la porte Roanne se retourne :
-Tu
devrais venir la rencontrer.
-Qui
ça ?
-La
bibliothécaire,
-Moi ?
-Oui, toi-même
en personne.
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