Meurtre à la mosquée
Chapitre 15
Après lui avoir faire remplie une fiche
d’identification, on a mené Kamala Zardai dans une salle d’interrogatoire à l’arrière
du poste de police. Pour Paul il est possible que ce jeune homme lui fournisse
une autre clé pour solutionner le meurtre (il lui semble de plus en plus
évident qu’il s’agit d’un meurtre) dans la mosquée de Papineauville. Il espère
qu’il saura être aussi volubile que sa cadette; il veut donc ne rien perdre de
ses propos ni rien de son comportement. Son interrogatoire sera enregistré et
filmé.
Paul et Roxanne l’observe
quelques instants à travers la vitre voilée. Kamala Zardai est nonchalamment
assis sur la chaise qu’on lui a offerte légèrement de guingois. Il regarde
simplement devant lui relativement calmement; ils ne voient chez lui aucun
signe de nervosité apparente, pas de battement de pieds, pas de tapotement des
doigts, pas de regard qui tournerait dans tous les sens; aucune sueur ne semble
perler de son front. Il est habillé comme bien d’autres jeunes de son âge en
jeans rapiécés, veste de cuirette et casquette vissée sur la tête. À part son
teint légèrement olivâtre, mais qui se voit à peine, rien ne pourrait faire
dire qu’il est né à l’étranger, et encore moins au Pakistan. Aucun signe
extérieur de ne peut faire dire qu’il vient d’une famille religieuse, et
d’autant plus musulmane.
Paul se met à se demander ce qui
fait que qu’un enfant tourne mal et un autre non dans une même famille. Ils
vivent dans le même milieu, ils reçoivent à peu près la même éducation, avec
les mêmes interdits et les même libertés, ils ont à peu près le même bagage
génétique, ils fréquentent les mêmes écoles, ils sont stimulés à peu près de la
même façon, et puis tout d’un coup, pendant que les autres obéissent à leurs
parents, qu’ils suivent le bon chemin, qui font ce qu’on leur demande, qui vont
aux études, et s’intègrent dans la société comme il se doit, en voilà qui se
rebelle et qui prend une mauvaise voie, celle de la délinquance, qui s’engage
dans la petite criminalité, le vol à l’étalage, le taxage, le recel, et puis il
se fait recruter par une gang : c’est le cycle de la violence qui
s’intensifie et en quelque temps il devient un vrai criminel… Toute une vie
gâchée. Paul pense à ces criminels célèbres, jeunes hommes de bonnes familles
comme Jesse James qui était fils de pasteur, qui avec son frère Frank a écumé
l’Ouest américain au milieu du 19e siècle; ou encore à Griselda
Blanco, surnommée la Veuve Noire,
fille de ménagère qui deviendra la pionnière du trafic de cocaïne de la
Colombie vers les États-Unis ainsi que du crime organisé Miami. Quel déclic
déclenche l’escalade, la débâcle ? Les frustrations ? La souffrance ? Les
mauvaises influences ?
Roxanne lui tape sur l’épaule.
Père et filles pénètrent avec sa fille dans la salle d’interrogatoire. Roxanne
lui laissera poser les questions; devant un jeune de cette espèce, Paul a
probablement plus de ressources. Kamala ne réagit qu’à peine à leur venue.
-Bonjour monsieur Mawami…
-Pitié ! Laissez faire le
monsieur Mawami, on dirait que vous parlez à mon père; moi j’suis Kamala.
-Très bien, on t’appellera
Kamala, si tu préfères.
-Certain que j’prèfère; alors
vous m’avez bien observé ? demande-t-il sans arrogance en montrant des yeux la
vitre voilée.
-Comment sais-tu que nous
t’avons observé ?
-Wooo… si vous avez bien
consulté mes dossiers vous devriez savoir que ce n’est pas ma première visite
ici : trafic de drogues, menaces, coups et blessures… C’est ce que vous
avez lu, n’est-ce pas ?
-Possible, mais ce n’est pas
pour ça qu’on voulait t voir…
-Non, bien sûr ! Vous voulez
m’voir à cause de la mort de mon père, mais j’vous dit tout-de-suite, c’est pas
moi qui l’ai tué.
-Non ?
-Non ! Mais c’est pas l’envie
qui m’a manqué ! Ah, ça non, goulag ! Ce chien-là je lui aurais bien fait la
peau, mais quelqu’un d’autre s’en est chargé pour moi; quelqu’un qui m’a rendu
un maudit bon service !
-Pourquoi qu’t’aurais voulu lui
faire la peau à ton paternel ?
-Ce salopard-là ? C’est un
voleur ! En plus d’être un illuminé, en plus de terroriser sa famille, en plus
de se prendre pour Allah en personne, en plus… Vous en voulez plus ?!
-Tu ne t’entendais pas bien avec
lui, à ce que je peux conclure…
-Ben, vous conclussez bien !
C’est un tyran, qui terrorise tous les membres de sa famille, sa femme, ses
filles, ses fils, sa belle-fille ! Il n’y a rien à son épreuve ! Il faut
toujours qu’il aille raison, même quand il a tort ! Moi, un jour j’en ai eu
assez ! J’ai pris la porte et je ne suis pas revenu ! Ah, il a bien essayé de
me faire revenir ! Il a envoyé mon frère Hamza me faire la morale, mais shit,
je l’ai envoyé chier assez vite.
-Qu’est-ce que tu as fait quand
tu es parti ?
-J’ai vécu un été dehors à
quêter; pis après… je me suis débrouillé.
-En faisant du trafic de drogue…
-J’ai pas dit ça.
-Pourquoi t’as dit que ton père
ton père était un voleur ?
-Vous l’savez pas ? Hè, ho !
Allumez ! Y a personne de futé à la police ? Il vole ses employés, en retentant
leurs payes… Et comme ils peuvent pas se défendre… Il vole ses fournisseurs…
Comment vous pensez qu’il a réussi en affaires ? Parce que c’est un voleur ! Y
a pas d’autre raison ! J’suis sûr aussi qu’il vole la mosquée, mais comme j’y
vas jamais… Qu’est-ce que vous voulez que ça m’fasse ?...
Roxanne qui était restée en
retrait depuis le début intervient pour la première fois.
-Qu’est-ce que tu faisais
vendredi soir dernier ?
Le jeune Kamala a un mouvement
de surprise. Est-ce parce qu’il l’avait
oubliée ou parce qu’il ne s’attendait pas à cette question ?
C’est au tour de Paul de se
reculer quelque peu.
-J’vous dit que c’est pas moi qui l’a tué; j’vous dit
que c’est pas moi.
-Réponds à la question !
-Et puis, il me faut une raison
! Je l’avais effacé de ma vie…
-Tu ne réponds pas à la question
!
-Non, j’réponds pas !!
-Tu ne réponds pas parce que tu
n’as pas d’alibi !
-J’en ai un alibi : j’étais
avec mes chums ! C’est ça mon alibi !
-Tes chums ? C’est un peu vague,
non ? Où étiez-vous ? Et qui c’était ? Ça va prendre des noms pour corroborer
tout ça !
-J’donnerais pas leur noms,
j’vous garantis. En plus, j’connais même pas leur nom !
-Je vais te dire pourquoi tu ne
veux pas donner des noms : parce que tu ne veux pas les incriminer; ça te
retomberait dessus, c’est ça, hein ? S’il fallait que tu trahisses tes
comparses dans le trafic de drogue, je ne donne pas cher de ta peau. Tu
passerais un mauvais quart d’heure, c’est garanti !
-Hey là ! J’étais recherché, pis
j’suis venu me livrer, pis j’vous dit que je l’ai pas tué mon père; qu’est-ce
que vous voulez de plus ?
-C’est pas si simple que tu le
crois, Kamala. Qu’est-ce que tu croyais ? Que parce que tu es venu de toi-même
on allait te croire sur parole pis qu’on allait te dire « merci » en
plus ? Si tu es venu, c’est que tu n’avais pas le choix, point final ! Toi qui
a l’air de connaître le système, tu savais bien qu’on allait te retrouver tôt
ou tard, et peut-être même assez tôt ! Tu pensais que venir de toi-même
augmenterait tes chances…
-C’est pas ça !...
-Laisse-moi finir ! Tu croyais
que juste le fait te dire que tu n’avais pas tué ton père te rendrait innocent,
mais le fait est que vis-à-vis de la loi tu-n’as-pas-d’a-li-bi.
Roxanne détache chaque syllabe pour
bien se faire comprendre de son jeune interlocuteur.
-Et si tu ne veux pas fournir
d’alibi, c’est parce que c’est encore plus dangereux pour toi, que de ne pas en
avoir. Fournir un alibi voudrait dire que tu avoues que vendredi tu étais en
train de t’adonner à un trafic illégal, et en plus, ce qui est bien plus grave,
tu devrais dénoncer tes complices.
-…
-Tu restes silencieux ?
-Qu’est-ce que tu veux que te
dises ? Tu donnes toute les réponses !
-Non; la voilà ma vraie
réponse : on va t’accuser de meurtre prémédité de ton père et on va te
garder ici jusqu’à ta comparution devant un juge qui statuera de ton sort. À
partir de maintenant, tout ce que tu diras pourras être retenu contre toi; tu
peux demander l’aide d’un avocat. Si tu…
-J’veux pas d’avocat; j’veux
juste sortir d’ici ! Vous avec pas le droit !
Paul a ouvert la porte et fait
entrer deux agents.
-J’ai bien peur que tu n’aies
pas le choix. Ces messieurs vont te conduire en cellule; si tu résistes à ton
arrestation, tu ne feras qu’aggraver ton cas.
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