lundi 13 février 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 15
                Après lui avoir faire remplie une fiche d’identification, on a mené Kamala Zardai dans une salle d’interrogatoire à l’arrière du poste de police. Pour Paul il est possible que ce jeune homme lui fournisse une autre clé pour solutionner le meurtre (il lui semble de plus en plus évident qu’il s’agit d’un meurtre) dans la mosquée de Papineauville. Il espère qu’il saura être aussi volubile que sa cadette; il veut donc ne rien perdre de ses propos ni rien de son comportement. Son interrogatoire sera enregistré et filmé.
                Paul et Roxanne l’observe quelques instants à travers la vitre voilée. Kamala Zardai est nonchalamment assis sur la chaise qu’on lui a offerte légèrement de guingois. Il regarde simplement devant lui relativement calmement; ils ne voient chez lui aucun signe de nervosité apparente, pas de battement de pieds, pas de tapotement des doigts, pas de regard qui tournerait dans tous les sens; aucune sueur ne semble perler de son front. Il est habillé comme bien d’autres jeunes de son âge en jeans rapiécés, veste de cuirette et casquette vissée sur la tête. À part son teint légèrement olivâtre, mais qui se voit à peine, rien ne pourrait faire dire qu’il est né à l’étranger, et encore moins au Pakistan. Aucun signe extérieur de ne peut faire dire qu’il vient d’une famille religieuse, et d’autant plus musulmane.
                Paul se met à se demander ce qui fait que qu’un enfant tourne mal et un autre non dans une même famille. Ils vivent dans le même milieu, ils reçoivent à peu près la même éducation, avec les mêmes interdits et les même libertés, ils ont à peu près le même bagage génétique, ils fréquentent les mêmes écoles, ils sont stimulés à peu près de la même façon, et puis tout d’un coup, pendant que les autres obéissent à leurs parents, qu’ils suivent le bon chemin, qui font ce qu’on leur demande, qui vont aux études, et s’intègrent dans la société comme il se doit, en voilà qui se rebelle et qui prend une mauvaise voie, celle de la délinquance, qui s’engage dans la petite criminalité, le vol à l’étalage, le taxage, le recel, et puis il se fait recruter par une gang : c’est le cycle de la violence qui s’intensifie et en quelque temps il devient un vrai criminel… Toute une vie gâchée. Paul pense à ces criminels célèbres, jeunes hommes de bonnes familles comme Jesse James qui était fils de pasteur, qui avec son frère Frank a écumé l’Ouest américain au milieu du 19e siècle; ou encore à Griselda Blanco, surnommée la Veuve Noire, fille de ménagère qui deviendra la pionnière du trafic de cocaïne de la Colombie vers les États-Unis ainsi que du crime organisé Miami. Quel déclic déclenche l’escalade, la débâcle ? Les frustrations ? La souffrance ? Les mauvaises influences ?
                Roxanne lui tape sur l’épaule. Père et filles pénètrent avec sa fille dans la salle d’interrogatoire. Roxanne lui laissera poser les questions; devant un jeune de cette espèce, Paul a probablement plus de ressources. Kamala ne réagit qu’à peine à leur venue.
                -Bonjour monsieur Mawami…
                -Pitié ! Laissez faire le monsieur Mawami, on dirait que vous parlez à mon père; moi j’suis Kamala.
                -Très bien, on t’appellera Kamala, si tu préfères.
                -Certain que j’prèfère; alors vous m’avez bien observé ? demande-t-il sans arrogance en montrant des yeux la vitre voilée.
                -Comment sais-tu que nous t’avons observé ?
                -Wooo… si vous avez bien consulté mes dossiers vous devriez savoir que ce n’est pas ma première visite ici : trafic de drogues, menaces, coups et blessures… C’est ce que vous avez lu, n’est-ce pas ?
                -Possible, mais ce n’est pas pour ça qu’on voulait t voir…
                -Non, bien sûr ! Vous voulez m’voir à cause de la mort de mon père, mais j’vous dit tout-de-suite, c’est pas moi qui l’ai tué.
                -Non ?
                -Non ! Mais c’est pas l’envie qui m’a manqué ! Ah, ça non, goulag ! Ce chien-là je lui aurais bien fait la peau, mais quelqu’un d’autre s’en est chargé pour moi; quelqu’un qui m’a rendu un maudit bon service !
                -Pourquoi qu’t’aurais voulu lui faire la peau à ton paternel ?
                -Ce salopard-là ? C’est un voleur ! En plus d’être un illuminé, en plus de terroriser sa famille, en plus de se prendre pour Allah en personne, en plus… Vous en voulez plus ?!
                -Tu ne t’entendais pas bien avec lui, à ce que je peux conclure…
                -Ben, vous conclussez bien ! C’est un tyran, qui terrorise tous les membres de sa famille, sa femme, ses filles, ses fils, sa belle-fille ! Il n’y a rien à son épreuve ! Il faut toujours qu’il aille raison, même quand il a tort ! Moi, un jour j’en ai eu assez ! J’ai pris la porte et je ne suis pas revenu ! Ah, il a bien essayé de me faire revenir ! Il a envoyé mon frère Hamza me faire la morale, mais shit, je l’ai envoyé chier assez vite.
                -Qu’est-ce que tu as fait quand tu es parti ?
                -J’ai vécu un été dehors à quêter; pis après… je me suis débrouillé.
                -En faisant du trafic de drogue…
                -J’ai pas dit ça.
                -Pourquoi t’as dit que ton père ton père était un voleur ?
                -Vous l’savez pas ? Hè, ho ! Allumez ! Y a personne de futé à la police ? Il vole ses employés, en retentant leurs payes… Et comme ils peuvent pas se défendre… Il vole ses fournisseurs… Comment vous pensez qu’il a réussi en affaires ? Parce que c’est un voleur ! Y a pas d’autre raison ! J’suis sûr aussi qu’il vole la mosquée, mais comme j’y vas jamais… Qu’est-ce que vous voulez que ça m’fasse ?...
                Roxanne qui était restée en retrait depuis le début intervient pour la première fois.
                -Qu’est-ce que tu faisais vendredi soir dernier ?
                Le jeune Kamala a un mouvement de surprise. Est-ce parce qu’il l’avait oubliée ou parce qu’il ne s’attendait pas à cette question ?
                C’est au tour de Paul de se reculer quelque peu.
-J’vous dit que c’est pas moi qui l’a tué; j’vous dit que c’est pas moi.
                -Réponds à la question !
                -Et puis, il me faut une raison ! Je l’avais effacé de ma vie…
                -Tu ne réponds pas à la question !
                -Non, j’réponds pas !!
                -Tu ne réponds pas parce que tu n’as pas d’alibi !
                -J’en ai un alibi : j’étais avec mes chums ! C’est ça mon alibi !
                -Tes chums ? C’est un peu vague, non ? Où étiez-vous ? Et qui c’était ? Ça va prendre des noms pour corroborer tout ça !
                -J’donnerais pas leur noms, j’vous garantis. En plus, j’connais même pas leur nom !
                -Je vais te dire pourquoi tu ne veux pas donner des noms : parce que tu ne veux pas les incriminer; ça te retomberait dessus, c’est ça, hein ? S’il fallait que tu trahisses tes comparses dans le trafic de drogue, je ne donne pas cher de ta peau. Tu passerais un mauvais quart d’heure, c’est garanti !
                -Hey là ! J’étais recherché, pis j’suis venu me livrer, pis j’vous dit que je l’ai pas tué mon père; qu’est-ce que vous voulez de plus ?
                -C’est pas si simple que tu le crois, Kamala. Qu’est-ce que tu croyais ? Que parce que tu es venu de toi-même on allait te croire sur parole pis qu’on allait te dire « merci » en plus ? Si tu es venu, c’est que tu n’avais pas le choix, point final ! Toi qui a l’air de connaître le système, tu savais bien qu’on allait te retrouver tôt ou tard, et peut-être même assez tôt ! Tu pensais que venir de toi-même augmenterait tes chances…
                -C’est pas ça !...
                -Laisse-moi finir ! Tu croyais que juste le fait te dire que tu n’avais pas tué ton père te rendrait innocent, mais le fait est que vis-à-vis de la loi tu-n’as-pas-d’a-li-bi.
                Roxanne détache chaque syllabe pour bien se faire comprendre de son jeune interlocuteur.
                -Et si tu ne veux pas fournir d’alibi, c’est parce que c’est encore plus dangereux pour toi, que de ne pas en avoir. Fournir un alibi voudrait dire que tu avoues que vendredi tu étais en train de t’adonner à un trafic illégal, et en plus, ce qui est bien plus grave, tu devrais dénoncer tes complices.
                -…
                -Tu restes silencieux ?
                -Qu’est-ce que tu veux que te dises ? Tu donnes toute les réponses !
                -Non; la voilà ma vraie réponse : on va t’accuser de meurtre prémédité de ton père et on va te garder ici jusqu’à ta comparution devant un juge qui statuera de ton sort. À partir de maintenant, tout ce que tu diras pourras être retenu contre toi; tu peux demander l’aide d’un avocat. Si tu…
                -J’veux pas d’avocat; j’veux juste sortir d’ici ! Vous avec pas le droit !
                Paul a ouvert la porte et fait entrer deux agents.
                -J’ai bien peur que tu n’aies pas le choix. Ces messieurs vont te conduire en cellule; si tu résistes à ton arrestation, tu ne feras qu’aggraver ton cas.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire