lundi 6 février 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 14

                Le lendemain est arrivé à Paul ce qu’il croira être un « deuxième morceau du casse-tête ». Il s’était réveillé tôt. Il s’était fait un premier café et en avait porté une tasse au lit à Juliette encore toute ensommeillée.
                -Tu pars tôt ce matin ?
                -Oui, je sais; désolé. Mais il y a cette histoire de meurtre dans la mosquée sur laquelle je dois me concentrer.
                -Hmm…
                -Comme je te l’ai dit, Roxanne et Isabelle ont découvert un élément important, et comme on dit : il faut battre le fer quand il est chaud.
                -C’est un dicton qui t’arrange bien. Est-ce que tu vas rentrer tard ?
                -Je ne crois pas; j’espère que non.
                -Peut-être que je vais retourner chez moi à Lac-des-Sables. Tu m’appelleras si tu crois pouvoir ne pas finir trop tard.
                -D’accord, et je viendrais te rejoindre. Passe une bonne journée.
                -Toi aussi; et merci pour le café.
                Ils s’étaient échangé un doux baiser moitié tendresse, moitié regret.

                À peine arrivé au poste de police, Paul avait été surpris de recevoir la visite très matinale de Nawaz Ayub Zardai; il était venu le trouvé tôt le matin pour lui demander quand il pourrait rouvrir la mosquée. Il fallait y faire un grand ménage, notamment faire disparaître toutes les traces de sang dans le bureau et le couloir (« Il faudra probablement complétement enlever les tapis, avait-il dit; je ne crois pas qu’il est possible de vraiment le nettoyer. »), ainsi que ranger le désordre résultat des nombreuses allées et venues de la police.
                -Nous aimerions reprendre nos activités le plus tôt possible, vous comprenez; et si possible dès vendredi. Notre imam aimerait s’adresser à notre communauté pour la guider dans son deuil.
                -Non, je ne vois aucun problème, monsieur Zardai; je vais donner les ordres qu’il faut pour que vous ayez accès à la mosquée et commencer le nettoyage. Je vais demander à l’une de nos équipes de vous accompagner juste pour rassurer tout le monde et, si tout va bien, mes hommes vous laisseront en demi-journée. Bien sûr, si vous vous apercevez que quelque chose ne va pas, avertissez-les tout-de-suite ?
                -Quelque chose qui ne va pas ?... Je ne comprends pas.
                -Bien, s’il quelque chose a disparu par exemple, si un objet n’est plus là, si un meuble n’est pas au bon endroit. Par exemple, si quelque chose a été déplacé dans le centre culturel… L’enquête se poursuit et tout ce que vous pourriez nous rapporter pourra nous être utile.
                -Je comprends.
                -Aussi, je vous demanderais d’être attentif avec les gens qui viendrons vous aider. Est-ce qu’il y en aurait un qui aurait un comportement particulier, inhabituel… Ça aussi c’est important.
                -Vous croyez "que les assassins reviennent toujours sur les lieux du crime", c’est ça ?
                -Pas tout-à-fait. Je crois qu’il n’y a que deux hypothèses : soit le ou les coupables sont venus de l’extérieur, soit il ou ils étaient déjà à l’intérieur de la mosquée; et, pour vous parler franchement monsieur Zardai, pour l’instant je privilégie la deuxième hypothèse.
                Le vis-à-vis de Paul Quesnel reste silencieux quelques instants, en regardant un objet invisible sur le bureau, comme s’il lui fallait un certain temps pour bien assimiler toutes les implications de cette dernière affirmation.
                Paul reprend la conversation sur un autre point :
                -Que pouvez-vous me dire sur l’imam Murama ?
                -Pardon ?
                -Oui, dites-moi ce que vous savez de lui : d’où vient-il, comment a-t-il atterri chez vous…? Je voudrais en savoir plus.
                -La mosquée Badsahi a été construite il y aura bientôt cinq ans, en grande partie financée par la communauté pakistanaise; c’est d’ailleurs pour ça qu’elle s’appelle Badsahi; au pays la Badhahi Mosque, est la deuxième plus grande du pays. Et pendant sa construction on a cherché un imam sunnite qui parlait l’ourdou qui pourrait venir pour en prendre le leadership. On avait contacté un imam de New-York, mais il est resté très surpris de la petitesse de nos moyens de même que de l’isolement de Papineauville, et en plus il ne parlait pas français, si bien qu’il est reparti précipitamment pour New-York après quelques semaines seulement. Nous avons alors décidé d’être plus vigilants et de mieux choisir son successeur. Comme Amir Mawami fait régulièrement des voyages au pays pour ses affaires, il s’est occupé de mettre quelques annonces dans ses réseaux de contacts. Nous avions reçu alors une demi-douzaine de réponses et nous avons fait des entrevues par Skype avec trois des candidats. Et nous sommes tombés d’accord pour offrir le poste à l’imam Muhammad Ali Murama… Et il faut dire que c’était un choix judicieux ! Il est entièrement dévoué à son travail et à la communauté musulmane; il s’y consacre corps et âme; tout le monde est satisfait de ses services. Nous n’avons rien à lui reprocher.
                -Est-ce qu’il est venu avec sa famille ?
                -En fait, il est venu avec sa femme, Faiza. Et depuis qu’ils sont arrivés ils ont eu un petit garçon qui s’appelle Abbas et je crois qu’elle est à nouveau enceinte.
                -Est-ce que sa femme vient à la mosquée ?
                -Évidemment ! Elle n’est pas venue quelque temps à la fin de sa grossesse et à la naissance de sa petite fille, mais sinon elle vient régulièrement.
                -Est-ce qu’elle était là vendredi ?
                -Je ne peux pas dire; d’en bas, nous les hommes on ne peut pas voir les femmes qui se trouvent au balcon; mais probablement qu’elle était là.
                -Donc son adaptation ici se déroule bien ?
                -Très bien ! Nous aimerions le garder plusieurs années.
                -Une dernière question ça marchait bien entre lui et Amir Mawami ?
                -Mais bien sûr ! (dit le ton de : « Quelle question stupide ! ») C’était son homme de confiance ! Il l’a beaucoup aidé. Les premiers temps il a été avec lui presque jour et nuit pour l’aider à s’adapter; il voulait être sûr qu’il ne ferait pas comme son prédécesseur. C’est grâce à lui si l’imam Murama se sent si bien. Amir va lui manquer c’est certain.
                -Et il va manquer à la communauté aussi…
                Nawaz Zardai marque une légère pause.
                -Oui… évidemment.
                -Vous n’en semblez pas entièrement convaincu ?
                -Oui, oui, il est indispensable à la vie de la communauté, et au bon fonctionnement de la mosquée…
                -Laissez-moi vous aider : certaines personnes pensent peut-être qu’il y prenait beaucoup de place, qu’il avait une tendance à tout vouloir contrôler… C’est ça ?
                -Oui et non; c’est vrai qu’il s’occupe de bien des choses mais en même temps il faut bien que quelqu’un le fasse. Personne ne pourrait le faire comme lui…
                -Peut-être parce qu’il ne laissait personne le faire à sa place…
                -Avec moi, en tout cas, il n’y a jamais eu de problème; ça se passait très bien.
                Il faudra avoir une autre conversation avec lui, se dit Paul, en pensant à l’imam Murama.
                -Un dernier détail et ensuite je vous laisse aller à la mosquée monsieur Zardai. Amir Mawami s’occupait de finances n’est-ce pas ?
                -Oui…
                -Et qui vérifiait les comptes après lui ?
                -Vérifier les comptes ? Personne… on lui faisait confiance.
                -Il faisait tout tout seul ! Il n’y avait pas un deuxième signataire ?
                -Oui, bien sûr; l’imam Murama cosignait les chèques avec lui.

                Paul a laissé son interlocuteur à la porte; il a demandé à l’agent Turgeon de l’accompagner jusqu’à la mosquée et de s’assurer que tout s’y passe bien.
                De retour à son bureau, après s’être servi une tasse de café (« Il faut vraiment que je diminue ma consommation de café ! »), il a à peine le temps de s’assoir pour se mettre à réfléchir sur tout ce que vient de lui partager Nawaz Zardai durant la matinée qu’on vient le prévenir.
                -Patron, il y a quelqu’un pour vous en avant.
                -Qui ça ?
                -Un jeune homme ! Celui pour qui vous avez lancé un avis de recherche hier soir, Kamala Mawami; il est là à la porte. Il s’est livré de lui-même.

                -Très bien, j’arrive ! Trouve-moi Roxanne.

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