Meurtre à la mosquée
Chapitre 16
En fin d’après-midi, Roxanne passe au
bureau de son père avant de repartir chez elle. Quand elle avait obtenu son transfert à Papineauville, il y a
maintenant presque quatre ans, elle avait cherché une maison où s’installer
avec son copain-conjoint Fabio. Il
était venu le rejoindre de Montréal où il vivait en NSDD,
« nomade-sans-domicile-définitif », après être arrivé du Mexique en
tant que réfugié, et ensemble ils avaient sillonné la petite ville et ses
horizons. Ni l’un ni l’autre ne se sachant compétent en rénovation, et n’ayant
encore moins l’envie de se lancer dans les grands travaux, ils n’avaient pas
voulu acquérir un « belle maison rustique »
ou « ancestrale », comme le disait le courtier, qui aurait nécessitait
trop de réparations. Et les autres maisons à vendre qu’ils avaient visitées n’avaient
guère d’autre style, qu’elles soient en brique ou en bois, que celui de
l’utilitaire et aucune ne leur avait vraiment plu. En fait, aucune n’avait
attiré et éveillé l’œil d’artiste exigeant de Fabio, car Roxanne se serait bien
contentée d’une petite maison proprette avec quelques arbres même sans trop charme
ni trop de cachet. Ils avaient donc décidé de s’en faire construire une selon
un style et une taille qui leur conviendrait.
Fabio s’était rapidement investi dans cette tâche.
Roxanne se souvenait de cet épisode comme l’un des plus beaux moments de leur
vie de couple. Enthousiasme et enjoué, Fabio lui avait montré divers modèles sur
internet de maisons disponibles sur le marché en les commentant chaque fois longuement.
Elle ne comprenait pas tout ce qu’il disait dans les détails, mais elle l’avait
laissé faire, amusée, contente de le voir et de le savoir content. Elle se
disait que ce projet de maison consoliderait leur couple. Elle s’était bien sûr
rallié à son choix : une maison de bonne taille avec un garage, sous-sol
et trois chambres à coucher à l’étage. La caractéristique principale de la
maison était tout le rez-de-chaussée n’était constitué que d’une vaste pièce
aux nombreuses et grandes fenêtres qui servait à la fois de cuisine, de salle à
manger et de salon. L’immense plancher de bois valait le coup d’œil. Il y avait
un « îlot-cuisine » avec les indispensables électroménagers d’un côté
qui étaient inamovibles, où ils prenaient leurs petits déjeuners, mais tout le
reste de l’ameublement pour se déplacer, se transformer. Roxanne trouvait
effectivement que l’aménagement de cette pièce était assez original. Lors que
la pendaison de la crémaillère, ils avaient mis une longue table pour le buffet
le long du mur et on avait eu encore toute la place qu’il fallait pour danser
et s’amuser.
Mais maintenant que Fabio était reparti à Montréal
parce que s’était rendu compte qu’il ne pourrait jamais ni trouver d’emploi ni
obtenir la reconnaissance qu’il désirait en tant qu’artiste, Roxanne trouvait
la maison trop grande pour elle seul. Déjà que quand ils y habitaient tous les
deux, ils avaient pas mal de place… Et toutes ces pièces qui devaient être les
chambres de enfants… Que va-t-il arriver à leur « couple en garde
partagée », comme elle disait ? Elle ne voulait pas trop y penser.
Elle ne savait pas si elle devait mettre la maison en
vente et s’en trouver une autre, répondant plus à ses goûts et elle et surtout
à ses besoins. Mais depuis que Fabio avait déménagé, elle essayait de ne pas
trop penser à ça non plus, et aussi, c’est vrai qu’elle avait beaucoup
travaillé avec toutes ces enquêtes qui s’enchaînaient les unes après les autres.
Elle se dirigeait dont vers le bureau de son père pour
lui dire bonsoir avant de retourner dans sa (trop) grande maison. Elle se
réjouissait pour son père qui s’était remis, ou plutôt qui était en train de se
remettre en couple, avec sa Juliette Sabourin, après vingt ans de célibat
mortifère. Et elle souriait au fait que c’était un peu beaucoup grâce à elle
que ces deux-là avaient commencé à se fréquenter. Elle espérait juste que son
père se discipline et puisse moins s’investir dans son travail, pour consacrer
à sa nouvelle flamme du temps en quantité suffisante, du temps de qualité.
Roxanne et Juliette étaient devenues de bonnes amies et elle se promettait bien
en marchant vers le bureau de son père d’avertir son père de prendre bien soin
de sa Juliette, de ne pas trop la délaisser.
Paul avait passé le reste de la journée à interroger
les hommes qui possédaient les clés de la mosquée Badshahi. Nawaz Ayub Zardai
lui avait dit qu’ils étaient six; tout d’abord lui-même et l’imam, ainsi que
celui qui avait été assassiné Amir Mawami; ensuite le président du Conseil du
Centre culturel et deux autres membres, des hommes de la communauté. Paul était
de plus en plus persuadé que la personne qui avait assassiné Amir Mawami était
déjà à l’intérieur de la mosquée ce vendredi soir. Mais il savait par expérience
qu’il ne fallait négliger aucune piste et peut-être apprendrait-il quelque
chose de l’un ou l’autre de ces hommes.
Le président du conseil s’appelait Malik Hakimullah.
Âgé d’une cinquantaine d’années, était lui aussi un homme d’affaires. Il était quitté
son pays à l’invitation d’Amir Mawami qui l’avait approché lors de l’un ses voyages
là-bas, en lui ventant le Canada et lui disant à quel point c’était une terre d’accueil,
et à quel point il y avait un grand potentiel de commerce. Il s’était laissé
convaincre, et était venu ici en tant qu’immigrants investisseurs, avec sa
femme et deux de ses enfants. Il n’avait pas voulu s’associer directement avec
Mawami, mais avait préféré se spécialiser dans le commerce des produits
alimentaires. Non, non, il ne le considérait pas comme un rival, mais ils
avaient de façon de faire qui divergeaient. Quand Paul l’avait sondé sur un
possible appui d’Amir Mawami à des groupes terroristes du Pakistan, l’autre s’était
récrié en levant les bras, en jurant tous ses grands dieux qu’il n’avait jamais
eu vent d’une telle chose, que ça lui semblait impossible, « inimaginable
! ».
Saif Intizar, quant à lui, était venu tout jeune avec
ses parents, il y avait plus de quarante qui avaient immigré dans une époque où
c’était encore facile de le faire. Il avait grandi ici, et il y avait fait sa
scolarité; il parlait français avec un léger accent de Rosemont, ce qui faisait
bien sourire Paul. Saif avait des études collégiales en Techniques radiologiques,
ce qui était assez particulier, et s’était trouvé un emploi à l’hôpital de
Buckingham, là où il habitait avec sa femme et ses enfants. Il fréquentait la
mosquée Badshahi depuis peu où il venait avec sa femme, mais sans les enfants, et
ne siégeait sur le Conseil que depuis un an. Oui, il avait les clés, en cas d’urgence,
mais il lui arrivait très rarement de venir à la mosquée à d’autres moments que
le vendredi du fait qu’il habitait à Buckingham. Il trouvait que le nouvel
imam, faisait un travail très convenable. Non, il ne connaissait pas Amir Mawami,
intimement; ils se voyaient à la mosquée, c’est tout. Il le trouvait un peu
autoritaire, et parfois impulsif, mais il n’avait rien de particulier à redire sur
sa conduite. Oui, il était là vendredi dernier à la mosquée. Et, non, il n’avait
rien remarqué d’anormal.
Enfin Muhammad Qandeel avait lui aussi dit qu’il ne
siégeait au conseil que depuis un an. Il y représentait la « jeune génération ».
Comme dans beaucoup de communautés religieuses, les jeunes ont tendance à
délaisser les lieux de culte et leurs rituels. Muhammad, malgré son nom, n’était
pas un fanatique, ni un musulman rigoriste, mais pour lui, l’Islam prônait de
vraies valeurs qui valait la peine d’être suivies et mises en pratique.
-Quelles sortes de valeurs ?
-Et bien « Islam » veut dire « soumission ».
On est soumis à qui ? On se soumet volontairement et consciemment à la volonté
d’Allah. C’est une attitude d’obéissance, d’humilité. Donc, on doit mettre son
orgueil de côté : on doit se respecter, on doit respecter les autres, et
on doit respecter la terre, l’environnement. L’Islam, on le sait, est une
religion écologique, qui prône un rapport avec la Nature, qui est la Création d’Allah,
fondée sur la reconnaissance. L’Islam, c’est aussi une religion de paix. Malgré
tout ce qu’on voir dans les médias… d’ailleurs tous ces attentats, ce n’est pas
l’Islam; c’est une déformation mensongère et odieuse de la religion musulmane.
Il faut combattre l’extrémisme. C’est ce que j’essaye de dire à tous les jeunes
de notre communauté; il y en a beaucoup trop qui se laisse embrigader par de
belles paroles.
-Est-ce que tout le monde pense comme vous dans la
communauté ?
-Heu… Je ne sais pas… J’espère que oui !
-Qu’est-ce que vous feriez s’il y avait des membres de
votre communauté qui sont des partisans de groupes terroristes ou qui soutiennent
ces groupes ?
-Je les dénoncerai immédiatement !
-Tu l’as bien roulé dans la farine, notre Kamala ? lui
lance-t-il à peine a-t-elle franchi le seuil du bureau et avant même qu’elle
ait ouvert la bouche.
-Pardon ?
-Oui, je trouve que tu as été assez expéditive. Nous
n’avions pas de preuve formelle, de simples soupçons… Il est certain que si
n’avons rien de plus concret je devrai le laisser repartir dans quarante-huit
heures.
-Oui, je sais. Mais je trouvais son attitude de
« monsieur-je-me-fout-de-tout-et-en-particulier-de-la-police » assez
suffisante; c’était même teinte d’une bonne dose d’arrogance. Il se disait, et
il nous disait en pleine figure que le simple fait de s’être présenté de
lui-même devait lui valoir des égards. Et puis quoi encore ! Je voulais lui
donner une petite leçon à ce jeune homme qui veut jouer les durs.
-Tu as eu raison; et puis ça a porté fruit, il a dit
des choses sur son père que peut-être il aurait gardées pour lui. On aurait
sans doute fini par découvrir cette histoire de sommes d’argent envoyées au
Pakistan, mais comme ça, ça nous donne un bon coup de pouce.
-Je ne savais pas qui sortirait de Kamala; c’est vrai
que je voulais provoquer les choses; je voulais faire comme un électrochoc…
Si on se base sur la suite de événements, jamais
Roxanne n’aura si bien dit.
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