Meurtre à la mosquée
Chapitre 19
À l’instant même où
Paul pose la main sur son récepteur pour demander à Francine de contacter la
femme d’Amir Mawami, afin de la faire venir pour un interrogatoire, la sonnerie
d’un appel interne se fait entendre. C’est probablement Francine la réceptionniste
qui veut lui passer une communication; ce qu’il planifie de faire aujourd’hui
va lui demander beaucoup de concentration. Il décroche avec l’intention de lui
dire qu’il n’a pas le temps, pour un bon moment de répondre à cet appel, et
tous les autres.
-Francine ? Je suis
occupé; je ne peux pas prendre d’appels.
-Mais patron, ça a
l’air urgent…
-C’est possible,
mais j’ai plus urgent; contacte-moi la famille d’Amir Mawami, j’ai besoin de
parler à quelqu’un, disons son fils Hamza pour qu’il amène sa femme au poste.
-Mais...
patron : c’est Hamza Mawami que j’ai au téléphone… il est très énervé. Et
il veut venir ici avec sa mère ! Il dit qu’elle est dans tous ses états !
-Qu’est-ce qu’il y
a ?
-Je ne sais pas; il
veut vous parler.
-Très bien je le
prends.
-Oui, monsieur
Hamza; qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
-Pourquoi avez-vous
arrêté mon frère ? C’est au sujet de la mort de mon père ?
-En effet, votre
frère constitue un témoin important et nous avons besoin de faire des
investigations plus approfondies, notamment sur ses alibis. Une fois les
vérifications faites…
-C’est illégal ! Il
n’a rien fait !
-S’il n’a rien fait
et que nous ne pouvons apporter de preuves sur son implication dans la mort de
votre père nous le relâcherons.
Par instinct, Paul
évite de dire que d’après la loi, il ne peut détenir un témoin plus de
quarante-huit heures sans l’inculper et pour l’instant, avec ce qu’il a trouvé,
il n’y a certainement pas matière à l’inculper.
-Et puis, ma mère
est en panique maintenant. Elle veut le voir ! Elle veut le faire libérer !
-Et bien je vous
invite à venir avec elle au poste de la Sureté du Québec et je vous attendrais;
vous savez où nous sommes, n’est-ce pas ?
-Est-ce qu’elle
pourra le voir ?
-Oui, je ferai en
sorte qu’elle puisse le voir. Venez en début d’après-midi; ce sera parfait.
Paul raccroche le
téléphone avec un demi-sourire. Moi qui ne savais pas quel prétexte trouver
pour faire venir cette femme, voilà qu’elle s’en vient d’elle-même. Il appelle
Roxanne pour le lui dire. Il ne reste plus qu’à attendre l’arrivée et de
Stéphanie Aubut, l’interprète et du fils et de la femme d’Amir Mawami.
-Comment
s’appelle-t-elle, en fait ?
-Attends, j’ai ça
dans mes notes… Ici… Parsa Zainab Mawami. Comment faudra-t-il l’appeler?
-Bah; on lui dira "madame", c’est tout. Bon, on a bien travaillé.
Allons casser la croûte tout-de-suite pour être de retour de bonne heure.
Paul ajoute en
riant :
-Et puis il faut
être en forme pour cet après-midi !
-Alors je t’invite
! J’ai apporté une salade de brocoli, canneberges et de noix dont tu me diras
des nouvelles, avec petites bouchées au brie et aux rillettes; il n’y a pas
plus nutritif que ça… et j’en ai pour deux.
-Ma fille adorée !
Comme tu soignes ton vieux père…
-Tu sais que tu n’es
pas vieux… À propos, tu me fais penser : comment ça va tes acouphènes?
-C’est bizarre; ça
reste à peu près pareil, sans trop augmenter. C’est toujours comme un léger chuintement
de scie électrique, mais la plupart de temps je ne l’entends pas; il faut que
je m’arrête et que j’y fasse attention.
-Bon, c’est
peut-être des bonnes nouvelles; et ton rendez-vous.
-Ce n’est pas avant
un mois ! C’est Juliette qui m’a trouvé un spécialiste à Buckigham; heureusement
que je ne suis pas à l’agonie.
-Et ce soir, quoi
qu’il arrive, tu vas la retrouver; peu importe à quelle heure on finit. Si tu n’y
vas pas de toi-même, c’est moi qui t’y amène !
Tout juste un peu une
heure de l’après-midi, une voiture de police s’arrête dans le stationnement et
Stéphanie Aubut en descend. Roxanne qui vient l’accueillir remarque qu’elle est
bien vêtue, simplement mais avec goût : jupe bourgogne et chemisier beige; à
cause de la fraîcheur de l’automne qui s’installe, elle a aussi mis un lainage,
une veste avec des fleurs dans les tons orangés. Ça lui va très bien; c’est peut-être ce qu’elle met quand elle doit des
présences au tribunal.
-Bonjour Stéphanie
!
Les deux jeunes
femmes se sourient.
-Entrez; je vous ai
expliqué brièvement ce que nous attendons de vous. Nous voulons écouter la
version de la femme de l’homme qui a était tué. Elle s’appelle Parsa Zainab Mawami;
son mari était Amir Mawami. Ils ont quatre enfants : l’aîné accompagne sa
mère, il se nomme Hamza; il y a aussi deux filles Mariyam et Asma; de même qu’un
autre fils, Kamala. Je vous donne leurs noms, ils sont écrits sur cette feuille
parce qu’ils vont certainement surgir dans la conversation. Ça va ?
-Oui, je comprends.
-Il y a aussi le nom du l’imam Muhammad Ali Murama, qui est responsable de la mosquée
Badshahi et du centre culturel islamique de Papineauville. Hier, nous avons arrêté le plus jeune
fils, Kamala, qui se livre au trafic de drogues et qui n’avait pas d’alibi
convainquant. Cette arrestation a mis, selon son fils, madame Mawami dans tous
ses états. Comme elle veut absolument voir son fils, nous allons passer un
marché avec elle : nous allons lui montrer son fils, mais en échange elle
doit promettre qu’ensuite elle répondra à nos questions dans le calme et du
mieux possible; obtenir cette promesse, c’est ce nous vous demandons en
premier. Nous vous laisserons mener la discussion. Est-ce que vous me comprenez
?
-Vous me faites confiance…
-Oui, Stéphanie; je vous fais entièrement
confiance. Une fois cette promesse obtenue, nous irons voir son fils quelques
instants; ils n’auront pas le droit de se parler, est-ce clair ? Il faut qu’elle
comprenne qu’elle ne pourra pas parler à son fils; nous avons déjà obtenu l’accord
de son fils. Elle pourra le serrer dans ses bras, et c’est tout. Ensuite, elle
devra répondre à nos questions.
-Et si jamais elle se met à parler à son
fils ?
-Ça dépend; si elle ne dit que des choses
comme "mon fils, mon garçon" ou encore "je t’aime, je t’aime",
personne n’intervient, mais nous ne voulons pas qu’ils échangent quelque
information que ce soit. Personne n’est coupable encore, mais ce sont deux témoins
importants et nous ne voulons pas qu’ils se parlent entre eux.
-Très bien.
-Vous savez bien que nous ne vous faisons pas faire le rôle de la police, mais chaque fois que vous allez en cour vous êtes
assermentée et soumise aux exigences du système judiciaires. Alors, je vais
vous assermenter pour l’interrogatoire de cet après-midi et vous serez alors
sous serment.
-Oui, je comprends parfaitement.
Comme Roxanne l’avait pressentie, à son
arrivée avec son fils ainé Hamza, quelques minutes plus tard, madame Parsa Zainab
Mawami se trouve dans un état de grande agitation. Hamza sort du côté passager
et ouvre la portière à sa mère; celle-ci, légèrement échevelée parle fort et
gesticule beaucoup. D’ailleurs elle n’est pas seule; une autre femme plus jeune
l’accompagne; elle lui tient la main et la soutient dans sa démarche. Paul
reconnaît en elle, l’autre fille de la famille Mawami, Mariyam. Puis, sort
aussi de la voiture, du côté chauffeur Nawaz
Ayub Zardai. Sauf la fille ainée, ils parlent tous en même temps.
Roxanne regarde Stéphanie.
-C’est à vous.
Stéphane se met alors à parler en ourdou… ce qui a
pour effet immédiat et instantané de faire taire tout le groupe. Cinq paires d’yeux
la fixent intensément pendant qu’elle les accueille au nom de Paul Quesnel, le
directeur du poste de police, et qu’elle les invite à entrer. Une fois à l’intérieur,
elle leur explique que seule madame Mawami sera autorisée d’entrer au-delà du
hall pour une visite à son fils et un interrogatoire pour l’inspecteur
lui-même. Les autres pourront l’attendre ici. Quelques protestations fusent,
mais Stéphanie poursuit. Elle explique à Parsa Mawami qu’elle pourra voir son fils comme elle le demande, mais qu’après
cette visite, durant laquelle elle ne pourra pas communiquer quelque
information avec son fils, elle devra répondre en toute honnêteté aux questions
qu’on lui posera et que ça ne devrait pas être très long. Alors qu’encore une
fois des protestations se font entendre, Stéphanie fait comprendre à Roxanne, à
son grand soulagement, que Parsa Mawami accepte.
-Elle leur demande de ne pas s’inquiéter;
qu’elle veut voir son fils et qu’elle le verra.
Les trois femmes passent une à la
suite de l’autre de la porte vitrée automatisée qui mène à l’intérieur.
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