lundi 20 mars 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 20

                La rencontre entre la mère et le fils (qui avait tout d’abord surpris d’apprendre que sa mère voulait le voir et qui ensuite avait accepté de la voir) s’était finalement assez bien déroulée malgré toutes les circonstances particulières. Tout d’abord elle n’avait eu lieu dans la salle des visites habituelle, celle où les prévenus ou les détenus peuvent rencontrer leur avocat ou tout autre expert et qui tout autre expert et qui est aménagée à cet effet. Paul avait plutôt décidé d’installer tout de suite madame Mawami dans la salle d’interrogatoire et d’y faire venir ensuite son fils Kamala. C’était tout à fait inhabituel comme façon de procéder, mais Paul voulait mettre toutes les chances de son côté : si, comme il le pensait, la rencontre avec son fils mettait madame Mawami dans de bonnes dispositions, il craignait que lui faire changer ensuite de salle pour son interrogatoire vienne perturber le processus. Que la rencontre se passe dans la salle d’interrogatoire lui permettait aussi de tout voir sans être vu. Il avait laissé Roxanne et Stéphanie seule avec madame Mawami; sans doute aussi, se disait-il, la présence de deux seules jeunes femmes, qui ne faisaient pas trop force de l’ordre, créerait un environnement plus propice aux confidences. Roxanne avait approuvé son idée.
                Kamala était arrivé menottes aux mains et aux pieds. Cela aussi faisait partie de la stratégie de Paul. S’il y avait de informations à recueillir de madame Mawami, il lui fallait jouer sur ses sentiments. Voir son fils ainsi menotté avait provoqué chez elle une réaction de stupeur et d’indignation. Elle avait les bras et s’était mise à récriminer.
                Stéphanie traduisait au fur et à mesure à Roxanne.
                -Elle dit que c’est horrible, c’est épouvantable d’avoir enchaîné son fils de cette façon; c’est scandaleux, c’est ignoble, c’est cruel; il n’a rien fait, il n’a rien fait. Libérez-le…
                Madame Mawami étreint son fils toujours en se plaignant.
                -….
-Comment est-ce qu’ils t’ont arrangé ? Comment est-ce qu’ils t’ont arrangé ? Mon pauvre fils… Mon petit fils chéri… Mon enfant…
                Elle lui caresse le visage en pleurant. Kamala essaye de calmer sa mère. Stéphanie continue de traduire.
                -…
-Calme-toi maman… calme-toi… ce n’est rien. Ils n’ont aucune preuve contre moi; ils ne peuvent rien prouver. Je n’ai rien fait.
                -…
-Je le sais mon fils que tu n’as rien fait, je le sais. Comment ont-ils pu penser que tu pouvais faire du mal à quelqu’un ? C’est ignoble, c’est cruel. Est-ce qu’ils t’ont fait du mal.
                Roxanne demande à Stéphanie de leur dire de s’assoir, et la mère et le fils s’assoient face à face, chacun d’un côté de la petite table, le seul meuble de la pièce à part quelques chaises.
-…
-Comment est-ce qu’ils t’ont arrangé ? Mon pauvre fils… Mon enfant… J’espère qu’ils ne t’ont pas fait du mal. Dis-le moi s’il t’ont fait quelque chose ?
-…
-Non, maman, ça va, on va me libérer bientôt.
-…
-As-tu besoin de quelque chose ? As-tu faim ? J’aurais voulu t’apporter quelque chose mais je n’avais pas le droit. Mon pauvre enfant… mon pauvre fils…
Et ainsi pendant quelques minutes entre la mère et le fils. Madame Mawami finit par se calmer; elle se mouche doucement. Roxanne juge que c’est assez et demande à Stéphanie de dire à madame Mawami que l’entretien est terminé.
Cette dernière ne réagit pas trop; voir son fils en chair et en os, semble l’avoir calmée. Elle étreint son fils une dernière fois.
-…
-Au revoir mon fils; je pense à toi.
-…
-Ne t’inquiète pas maman; je n’ai rien fait.
-…
-Je le sais que tu n’as rien fait.

Paul et Roxanne avait convenu qu’une fois Kamala sorti, l’interrogatoire commencerait de madame Mawami commencerait immédiatement.
Elle se tourne vers Stéphanie pour lui dire de donner la première question à poser.
Mais madame Mawami ne la laisse pas terminer et intervient avec une bonne dose de détermination. Stéphanie traduit.
-Elle dit que vous devez libérer son fils immédiatement, il n’est pas coupable de ce qu’on l’accuse.
-Demandez-lui de répondre à nos questions et tout ira bien.
-…
-Elle dit qu’il faut le libérer car ce n’est pas lui qui a tué son père; ce n’est pas lui, ce n’est pas lui ! Il est innocent.
-…
-Son fils n’a rien fait et elle le sait et si elle le sait c’est parce que… c’est parce que… c’est parce que c’est elle qui a tué son mari !
-…
-Oui, c’est moi qui a tué mon mari, alors libérez mon fils ! Il n’a pas à croupir en prison à son âge. Je vais prendre sa place ! Arrêtez-moi ! C’est moi la coupable et libérez mon fils, et libérez-le immédiatement !
Roxanne se tourne vers la fenêtre teintée derrière laquelle se trouve son père. Elle ne peut pas le voir, mais elle sait que lui, les voit et qu’il a tout entendu comme elle.
Madame Mawami tend ses mains de façon un peu dérisoire. Stéphanie Aubut poursuit sa traduction.
-…
-Mettez-moi les menottes; enlevez-les à mon fils et passez-moi le menottes.
Dans le petit écouteur qu’elle porte à son oreille, Roxanne entend son père lui dire :
-Ça n’a aucun sens ! Elle ne dit ça que pour faire libérer son fils…
-…
-Allez enfermez-moi et condamnez-moi : j’ai tué mon mari, et laissez partir mon fils.
Roxanne se tourne vers Stéphanie : « Demandez-lui de nous raconter comment elle a fait… »
-…
-C’est très simple; c’était durant la prière du vendredi. J’étais avec les femmes, et je suis descendue comme pour aller à la salle de bain. J’ai descendu l’escalier et je me suis dirigée vers le Centre culturel mais au lieu de m’arrêter aux toilettes, j’ai continué tranquillement vers le bureau de mon mari. Il a été surpris de me voir, mais il ne m’a rien dit. Il a continué à travailler. Alors j’ai sorti le poignard que j’avais caché dans mon sari et je le lui ai planté, comme ça, juste ici. Il a poussé un petit cri et il s’est affalé sur sa chaise en gémissant. J’ai retiré le poignard et je l’ai essuyé dans un revers de mon sari et je l’ai caché à nouveau. Je suis sortie du bureau et je suis remonté à l’étage de femmes où je suis restée jusqu’à la fin de la prière. Voilà comment j’ai fait.
-Et personne ne vous a vue ?
-…
-Toutes les femmes m’ont vue descendre, mais c’est fréquent que l’une ou l’autre d’entre nous descende pour aller à la salle de bain. Mais ensuite non, personne ne m’a vue entrer dans le bureau de mon mari.
-Pourquoi ? Pour quelle raison avez-vous fait ça ?
-…
-Pourquoi ? Parce que j’en avais assez qu’il me batte et qu’il nous batte et nous tyrannise. J’ai fait ça pour… le protéger.
-Pour le protéger ? Pour protéger qui ?
-…
-Oui, je devais… le protéger, mon fils bien sûr, mon petit Kamala; il avait besoin d’argent et son père ne voulait pas lui en donner. Ils s’étaient fâchés et ils s’étaient presque battus…
Stéphanie prend le bras de Roxanne.
-Il faut qu’on se parle. Il y a quelque chose de bizarre
-Sortons.
Les deux jeunes femmes sortent de la salle d’interrogatoire et vont rejoindre Paul dans le couloir qui sort à l’instant de la salle d’observation.
-Qu’est-ce se passe ? C’est une histoire de fou ?
-Papa, laisse parler Stéphanie.
-Elle a menti.
-Je m’en doute bien; c’est une histoire abracadabrante ! Ça n’a ni queue ni tête !

-Non, elle a menti sur le motif : deux fois elle a dit : "J’ai fait cela pour la protéger" et deux fois elle s’est reprise pour dire "J’ai fait cela pour le protéger". C’est louche.

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