Meurtre à la mosquée
Chapitre 20
La rencontre entre
la mère et le fils (qui avait tout d’abord surpris d’apprendre que sa mère
voulait le voir et qui ensuite avait accepté de la voir) s’était finalement
assez bien déroulée malgré toutes les circonstances particulières. Tout d’abord
elle n’avait eu lieu dans la salle des visites habituelle, celle où les
prévenus ou les détenus peuvent rencontrer leur avocat ou tout autre expert et
qui tout autre expert et qui est aménagée à cet effet. Paul avait plutôt décidé
d’installer tout de suite madame Mawami dans la salle d’interrogatoire et d’y
faire venir ensuite son fils Kamala. C’était tout à fait inhabituel comme façon
de procéder, mais Paul voulait mettre toutes les chances de son côté : si,
comme il le pensait, la rencontre avec son fils mettait madame Mawami dans de
bonnes dispositions, il craignait que lui faire changer ensuite de salle pour
son interrogatoire vienne perturber le processus. Que la rencontre se passe
dans la salle d’interrogatoire lui permettait aussi de tout voir sans être vu.
Il avait laissé Roxanne et Stéphanie seule avec madame Mawami; sans doute aussi,
se disait-il, la présence de deux seules jeunes femmes, qui ne faisaient pas
trop force de l’ordre, créerait un environnement plus propice aux confidences.
Roxanne avait approuvé son idée.
Kamala était arrivé
menottes aux mains et aux pieds. Cela aussi faisait partie de la stratégie de
Paul. S’il y avait de informations à recueillir de madame Mawami, il lui
fallait jouer sur ses sentiments. Voir son fils ainsi menotté avait provoqué
chez elle une réaction de stupeur et d’indignation. Elle avait les bras et
s’était mise à récriminer.
Stéphanie
traduisait au fur et à mesure à Roxanne.
-Elle dit que c’est
horrible, c’est épouvantable d’avoir enchaîné son fils de cette façon; c’est
scandaleux, c’est ignoble, c’est cruel; il n’a rien fait, il n’a rien fait.
Libérez-le…
Madame Mawami
étreint son fils toujours en se plaignant.
-….
-Comment est-ce qu’ils t’ont arrangé ?
Comment est-ce qu’ils t’ont arrangé ? Mon pauvre fils… Mon petit fils chéri…
Mon enfant…
Elle lui caresse le
visage en pleurant. Kamala essaye de calmer sa mère. Stéphanie continue de
traduire.
-…
-Calme-toi maman… calme-toi… ce n’est
rien. Ils n’ont aucune preuve contre moi; ils ne peuvent rien prouver. Je n’ai
rien fait.
-…
-Je le sais mon fils que tu n’as rien
fait, je le sais. Comment ont-ils pu penser que tu pouvais faire du mal à
quelqu’un ? C’est ignoble, c’est cruel. Est-ce qu’ils t’ont fait du mal.
Roxanne demande à
Stéphanie de leur dire de s’assoir, et la mère et le fils s’assoient face à
face, chacun d’un côté de la petite table, le seul meuble de la pièce à part
quelques chaises.
-…
-Comment est-ce qu’ils t’ont arrangé ? Mon
pauvre fils… Mon enfant… J’espère qu’ils ne t’ont pas fait du mal. Dis-le moi s’il
t’ont fait quelque chose ?
-…
-Non, maman, ça va, on va me libérer
bientôt.
-…
-As-tu besoin de quelque chose ? As-tu
faim ? J’aurais voulu t’apporter quelque chose mais je n’avais pas le droit. Mon
pauvre enfant… mon pauvre fils…
Et ainsi pendant quelques minutes entre la
mère et le fils. Madame Mawami finit par se calmer; elle se mouche doucement.
Roxanne juge que c’est assez et demande à Stéphanie de dire à madame Mawami que
l’entretien est terminé.
Cette dernière ne réagit pas trop; voir
son fils en chair et en os, semble l’avoir calmée. Elle étreint son fils une
dernière fois.
-…
-Au revoir mon fils; je pense à toi.
-…
-Ne t’inquiète pas maman; je n’ai rien
fait.
-…
-Je le sais que tu n’as rien fait.
Paul et Roxanne avait convenu qu’une fois
Kamala sorti, l’interrogatoire commencerait de madame Mawami commencerait
immédiatement.
Elle se tourne vers Stéphanie pour lui
dire de donner la première question à poser.
Mais madame Mawami ne la laisse pas
terminer et intervient avec une bonne dose de détermination. Stéphanie traduit.
-Elle dit que vous devez libérer son fils
immédiatement, il n’est pas coupable de ce qu’on l’accuse.
-Demandez-lui de répondre à nos questions
et tout ira bien.
-…
-Elle dit qu’il faut le libérer car ce n’est
pas lui qui a tué son père; ce n’est pas lui, ce n’est pas lui ! Il est
innocent.
-…
-Son fils n’a rien fait et elle le sait et
si elle le sait c’est parce que… c’est parce que… c’est parce que c’est elle
qui a tué son mari !
-…
-Oui, c’est moi qui a tué mon mari, alors
libérez mon fils ! Il n’a pas à croupir en prison à son âge. Je vais prendre sa
place ! Arrêtez-moi ! C’est moi la coupable et libérez mon fils, et libérez-le
immédiatement !
Roxanne se tourne vers la fenêtre teintée
derrière laquelle se trouve son père. Elle ne peut pas le voir, mais elle sait
que lui, les voit et qu’il a tout entendu comme elle.
Madame Mawami tend ses mains de façon un
peu dérisoire. Stéphanie Aubut poursuit sa traduction.
-…
-Mettez-moi les menottes; enlevez-les à
mon fils et passez-moi le menottes.
Dans le petit écouteur qu’elle porte à son
oreille, Roxanne entend son père lui dire :
-Ça n’a aucun sens ! Elle ne dit ça que
pour faire libérer son fils…
-…
-Allez enfermez-moi et condamnez-moi :
j’ai tué mon mari, et laissez partir mon fils.
Roxanne se tourne vers Stéphanie : « Demandez-lui
de nous raconter comment elle a fait… »
-…
-C’est très simple; c’était durant la
prière du vendredi. J’étais avec les femmes, et je suis descendue comme pour
aller à la salle de bain. J’ai descendu l’escalier et je me suis dirigée vers
le Centre culturel mais au lieu de m’arrêter aux toilettes, j’ai continué tranquillement
vers le bureau de mon mari. Il a été surpris de me voir, mais il ne m’a rien dit.
Il a continué à travailler. Alors j’ai sorti le poignard que j’avais caché dans
mon sari et je le lui ai planté, comme ça, juste ici. Il a poussé un petit cri
et il s’est affalé sur sa chaise en gémissant. J’ai retiré le poignard et je l’ai
essuyé dans un revers de mon sari et je l’ai caché à nouveau. Je suis sortie du
bureau et je suis remonté à l’étage de femmes où je suis restée jusqu’à la fin
de la prière. Voilà comment j’ai fait.
-Et personne ne vous a vue ?
-…
-Toutes les femmes m’ont vue descendre,
mais c’est fréquent que l’une ou l’autre d’entre nous descende pour aller à la
salle de bain. Mais ensuite non, personne ne m’a vue entrer dans le bureau de
mon mari.
-Pourquoi ? Pour quelle raison avez-vous
fait ça ?
-…
-Pourquoi ? Parce que j’en avais assez qu’il
me batte et qu’il nous batte et nous tyrannise. J’ai fait ça pour… le protéger.
-Pour le protéger ? Pour protéger qui ?
-…
-Oui, je devais… le protéger, mon fils
bien sûr, mon petit Kamala; il avait besoin d’argent et son père ne voulait pas
lui en donner. Ils s’étaient fâchés et ils s’étaient presque battus…
Stéphanie prend le bras de Roxanne.
-Il faut qu’on se parle. Il y a quelque
chose de bizarre
-Sortons.
Les deux jeunes femmes sortent de la salle
d’interrogatoire et vont rejoindre Paul dans le couloir qui sort à l’instant de
la salle d’observation.
-Qu’est-ce se passe ? C’est une histoire
de fou ?
-Papa, laisse parler Stéphanie.
-Elle a menti.
-Je m’en doute bien; c’est une histoire
abracadabrante ! Ça n’a ni queue ni tête !
-Non, elle a menti sur le motif :
deux fois elle a dit : "J’ai fait cela pour la protéger" et deux fois elle s’est reprise pour dire "J’ai
fait cela pour le protéger". C’est
louche.
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