lundi 6 mars 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 18

Malgré la conférence de presse donnée par Paul ce soir-là, les grands titres émissions d’information de fin de soirée de même que la une des journaux du lendemain portaient davantage sur les plus récents remous d’une campagne électorale déjà bien mouvementée que sur les derniers événements dans l’enquête du meurtre à la mosquée de Papineauville. Parfois, en page 6 ou 8 on avait droit à un résumé succinct de ses déclarations. Mais cet état de fait ne le dérangera en rien; bien au contraire. Paul aimait bien travailler sans trop de publicité, à l’abri du tapage médiatique et du tapage des rumeurs et du brouhaha des commentaires de tous et chacun. D’ailleurs, après cette conférence de presse, il était resté un peu dans son bureau pour réfléchir dans le calme.
Roxanne vient le trouver.
-Tu es encore là ? Comme je ne te voyais plus, je te croyais partie.
-Non…
-Qu’est-ce qu’il y a ?
-J’ai été accostée par Simon-Pierre Courtemanche…
-Hmmm….
-C’est sans doute un excellent journaliste; il comprend et… il est très intuitif.
-Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
-Par ses remarques, il m’a pointé quelqu’un qu’on a négligé, et qui pourtant pourrait très bien être un témoin important.
-Et qui donc ?
-La propre femme d’Amir Mawami.
-Cette…
-Tu vas peut-être dire "cette hystérique" ou "cette folle" ou quelque chose du genre, mais pour une rare fois, je vais te faire un peu la leçon : nous sommes passés trop vite sur son interrogatoire. Quand tu l’as vue, le première, et seule fois, tu as été dérangé par… son ton de voix, par l’ambiance, par l’environnement ou quoi d’autre et tu as baissé la garde trop rapidement. Tu n’as peut-être pas fait suffisamment attention à ce qui se passait, et surtout tu ne lui pas portait l’attention qu’elle méritait.
                -Ce que tu dis est vrai. J’ai té un peu déstabilisé par cet environnement différent, nouveau, inconnu. C’était tellement bruyant… Et les odeurs ! Tout était étrange. Je n’ai ni observé comme j’aurais dû ni procédé adéquatement. C’est comme si j’avais hâte de quitté les lieux. Et puis… il y avait le ton des voix que je n’arrivais pas à déchiffrer. Tu sais comme les intonations, les changements de rythmes des phrases, les hésitations sont importantes dans un interrogatoire; tu sais comme il faut être attentifs aux mimiques, aux gestes, aux postures… tout ça nous fournit de très précieux indices, et bien souvent plus importants que les réponses elles-mêmes. C’est souvent comme ça qu’on arrive à démêler le vrai du faux, c’est souvent ces détails qui nous font poser la bonne question, qui permette de tirer juste le bon fil, Et bien à ce moment-là, je ne comprenais rien de ce que ces gens disaient; je n’avais aucun repaire. Pendant quelques instants j’ai perdu le contrôle de la situation; j’étais tellement concentré sur les réponses de l’interprète que j’en ai oublié le reste. Il y avait un tel décalage entre le langage non-verbal et le moment où la réponse me parvenait, que oui, j’ai comme abandonné…
Paul fait la moue.
-Peut-être que je vieillis encore plus vite que je le craignais, ajoute-t-il mi-figue mi-raisin. Ça prendra pas long que je ne serais plus bon à grand-chose.
-Non, pas du tout ! Ne dis pas des telles choses, papa ! C’est peut-être une petite erreur, mais dans le contexte, elle s’explique. On va tout reprendre depuis le début. Je vais rappeler Stéphanie Aubut l’interprète et on va reprendre l’interrogatoire dans les conditions optimales.
-Oui, tu as raison, ma fille chérie. Qu’est-ce qu’il t’a dit Simon-Pierre Courtemanche ?
-Et bien, on sait qu’Amir Mawami finançait un ou plusieurs groupes terroristes du Pakistan en puisant à même les fonds de la mosquée et du centre islamique; probablement entre deux et trois cents dollars par semaine, ce qui fait une jolie somme à la fin de l’année. Et probablement qu’il détournait certaines sommes de ses affaires, à l’insu ou peut-être avec la complicité des comptables; l’équipe de Montréal s’est mises là-dessus et Yannick les aide dans leurs recherches. Ce que j’ai compris après la conversation avec Courtemanche, c’est que premièrement la provenance et la destination de tout cet argent n’aurait guère d’importance pour la résolution de son assassinat. Et il m’a fait remarquer que, pour lui, toutes ces manigances, tous ces tripotages, Mawami n’aurait pu les faire sans que sa femme le sache. Soit qu’il l’est mise au courant et qu’elle soit sa complice; soit que, comme elle la personne la plus proche de lui, la plus intime, en principe, avec lui, celle qui le côtoie au quotidien, elle ait pu s’apercevoir de quelque chose, au cours de toutes ces années, au Pakistan et au Québec. Elle n'es pas complètement aveugle. Peut-être que certains des comportements disons étranges de son mari lui auraient mis la puce à l’oreille, qu’elle se serait douté de quelque chose d’illicite, et qu’elle aurait finit par se douter de quelque chose ou même qu’elle aurait fini par découvrir le pot aux roses : son mari soutient financièrement les groupes terroristes de son pays.
-Hmmm… Ça se tient.
-J’avais demandé à Isabelle de s’informer sur leur venue au pays il y a quinze ans et dans les rapports d’immigration, il est dit que la famille est venue avec le statut de réfugiées parce que le père, c’est-à-dire Amir Mawami avait été victime de menaces de mort dans sa ville natale. À l’époque il était responsable de la gestion d’une école de garçons, selon le rapport, il avait voulu dénoncé les malversations dans le comptes de l’école dont du soutien à un groupe paramilitaire déclaré illégal par le gouvernement. C’est à la suite de cette dénonciation qu’il aurait été victime de menace et à la fin d’une tentative d’assassinat. Il était même écrit qu’il s’était produit une mystérieuse explosion à l’école dans laquelle des étudiants étaient morts. Par miracle, Mawami avait dû s’absenter ce jour-là, mais il avait tellement eu peur pour sa vie qu’ensuite il a demandé à venir ici en tant que réfugié avec sa famille.
-Où veux-tu en venir ?
-Imaginons quelques instants que tout ça ait été une mise en scène ! Ce n’est pas impossible. Imaginons qu’il ait été, lui, responsable des détournements de fonds vers les groupes terroristes et qu’il ait été menacé par la direction de l’école qui l’aurait découvert. Pour un groupe armé, c’est facile d’organiser un "faux" attentat pour faire peur à tout le monde. Et en même ils ont fait d’une pierre deux coups, lui, Amir Mawami en profite pour venir et continue le financement du groupe sans problème, à l’abri de tout soupçon et de tout danger.
-C’est toute une théorie !
-Je sais, j’ai un peu échafaudé à la fin. Il faudrait étayer tout ça. Mais pour revenir à sa femme, ça vaut vraiment la peine de la revoir.
-Pas juste que ça vaut la peine. C’est devenu indispensable. Bon, maintenant, on s’en va. Est-ce que je peux d’inviter à souper chez moi ?
-Juliette n’est pas là ?
-Non, elle a décidé d’aller quelques jours à Lac-des-Sables, s’occuper de quelques affaires. On n’est pas fâchés, mais, tu sais que lorsqu’on est au beau milieu d’une enquête, il y a bien des choses qui prennent le bord.
-Oui, je le sais très bien.

Ainsi le lendemain, après la rapide lecture des journaux, et après avoir mis la journée de travail de son équipe en Paul se plonge dans l’organisation de l’interrogatoire à venir. Roxanne, de son côté, contacte Stéphanie Aubut à Gatineau.
-Allo ?
-Stéphanie Aubut ?
-Oui, c’est moi.
-Bonjour, c’est l’officière Roxanne Quesnel-Ayotte du poste de la Sureté du Québec à Papineauville. Nous nous sommes parlé et vues il y a quelques jours.
-Oui, je m’en souviens très bien.
Au ton de voix de son interlocutrice, Roxanne devine qu’elle n’a pas gardé de cette première rencontre un très bon souvenir.
-Nous sommes désolés que cette première rencontre ne se soit pas très bien passée. Il faut comprendre que nous menons une enquête difficile sur un meurtre violent et que plusieurs d’entre nous avions les nerfs à fleur de peau.
-Oui, oui; je comprends.
-Je vous appelle parce que nous aurions encore besoin de vos services pour au moins un interrogatoire et peut-être plus dépendamment du déroulement de la journée. C’est toujours la même enquête. Pourriez-vous venir cette après-midi ? Je peux envoyer une voiture vous chercher vers quatorze heures si ça vous va ?
-Oui, oui; je n’ai pas de cours aujourd’hui. Et les enfants sont au CPE. Il faut juste que je prévienne mon conjoint pour qu’il aille les chercher.
-Merci; je vous attendrais. La voiture sera chez vous à quatorze heures comme je vous l’ai dit.

-À cette après-midi.

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