Meurtre à la mosquée
Chapitre 18
Malgré la conférence de presse donnée par Paul ce
soir-là, les grands titres émissions d’information de fin de soirée de même que
la une des journaux du lendemain portaient davantage sur les plus récents
remous d’une campagne électorale déjà bien mouvementée que sur les derniers
événements dans l’enquête du meurtre à la mosquée de Papineauville. Parfois, en
page 6 ou 8 on avait droit à un résumé succinct de ses déclarations. Mais cet
état de fait ne le dérangera en rien; bien au contraire. Paul aimait bien
travailler sans trop de publicité, à l’abri du tapage médiatique et du tapage
des rumeurs et du brouhaha des commentaires de tous et chacun. D’ailleurs,
après cette conférence de presse, il était resté un peu dans son bureau pour
réfléchir dans le calme.
Roxanne vient le trouver.
-Tu es encore là ? Comme je ne te voyais plus, je te
croyais partie.
-Non…
-Qu’est-ce qu’il y a ?
-J’ai été accostée par Simon-Pierre Courtemanche…
-Hmmm….
-C’est sans doute un excellent journaliste; il
comprend et… il est très intuitif.
-Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
-Par ses remarques, il m’a pointé quelqu’un qu’on a
négligé, et qui pourtant pourrait très bien être un témoin important.
-Et qui donc ?
-La propre femme d’Amir Mawami.
-Cette…
-Tu vas peut-être dire "cette
hystérique" ou "cette folle" ou quelque chose du genre, mais
pour une rare fois, je vais te faire un peu la leçon : nous sommes passés
trop vite sur son interrogatoire. Quand tu l’as vue, le première, et seule
fois, tu as été dérangé par… son ton de voix, par l’ambiance, par
l’environnement ou quoi d’autre et tu as baissé la garde trop rapidement. Tu
n’as peut-être pas fait suffisamment attention à ce qui se passait, et surtout
tu ne lui pas portait l’attention qu’elle méritait.
-Ce que tu dis est vrai. J’ai té
un peu déstabilisé par cet environnement différent, nouveau, inconnu. C’était
tellement bruyant… Et les odeurs ! Tout était étrange. Je n’ai ni observé comme
j’aurais dû ni procédé adéquatement. C’est comme si j’avais hâte de quitté les
lieux. Et puis… il y avait le ton des voix que je n’arrivais pas à déchiffrer.
Tu sais comme les intonations, les changements de rythmes des phrases, les
hésitations sont importantes dans un interrogatoire; tu sais comme il faut être
attentifs aux mimiques, aux gestes, aux postures… tout ça nous fournit de très précieux
indices, et bien souvent plus importants que les réponses elles-mêmes. C’est
souvent comme ça qu’on arrive à démêler le vrai du faux, c’est souvent ces
détails qui nous font poser la bonne question, qui permette de tirer juste le
bon fil, Et bien à ce moment-là, je ne comprenais rien de ce que ces gens
disaient; je n’avais aucun repaire. Pendant quelques instants j’ai perdu le
contrôle de la situation; j’étais tellement concentré sur les réponses de
l’interprète que j’en ai oublié le reste. Il y avait un tel décalage entre le
langage non-verbal et le moment où la réponse me parvenait, que oui, j’ai comme
abandonné…
Paul fait la moue.
-Peut-être que je vieillis encore plus vite que je le
craignais, ajoute-t-il mi-figue mi-raisin. Ça prendra pas long que je ne serais
plus bon à grand-chose.
-Non, pas du tout ! Ne dis pas des telles choses, papa
! C’est peut-être une petite erreur, mais dans le contexte, elle s’explique. On
va tout reprendre depuis le début. Je vais rappeler Stéphanie Aubut
l’interprète et on va reprendre l’interrogatoire dans les conditions optimales.
-Oui, tu as raison, ma fille chérie. Qu’est-ce qu’il
t’a dit Simon-Pierre Courtemanche ?
-Et bien, on sait qu’Amir Mawami finançait un ou
plusieurs groupes terroristes du Pakistan en puisant à même les fonds de la
mosquée et du centre islamique; probablement entre deux et trois cents dollars
par semaine, ce qui fait une jolie somme à la fin de l’année. Et probablement
qu’il détournait certaines sommes de ses affaires, à l’insu ou peut-être avec
la complicité des comptables; l’équipe de Montréal s’est mises là-dessus et
Yannick les aide dans leurs recherches. Ce que j’ai compris après la
conversation avec Courtemanche, c’est que premièrement la provenance et la
destination de tout cet argent n’aurait guère d’importance pour la résolution de
son assassinat. Et il m’a fait remarquer que, pour lui, toutes ces manigances,
tous ces tripotages, Mawami n’aurait pu les faire sans que sa femme le sache.
Soit qu’il l’est mise au courant et qu’elle soit sa complice; soit que, comme
elle la personne la plus proche de lui, la plus intime, en principe, avec lui,
celle qui le côtoie au quotidien, elle ait pu s’apercevoir de quelque chose, au cours de toutes ces années, au Pakistan et au Québec. Elle n'es pas complètement aveugle. Peut-être que certains des comportements disons étranges de son mari lui auraient
mis la puce à l’oreille, qu’elle se serait douté de quelque chose d’illicite,
et qu’elle aurait finit par se douter de quelque chose ou même qu’elle aurait
fini par découvrir le pot aux roses : son mari soutient financièrement les
groupes terroristes de son pays.
-Hmmm… Ça se tient.
-J’avais demandé à Isabelle de s’informer sur leur
venue au pays il y a quinze ans et dans les rapports d’immigration, il est dit
que la famille est venue avec le statut de réfugiées parce que le père, c’est-à-dire
Amir Mawami avait été victime de menaces de mort dans sa ville natale. À l’époque
il était responsable de la gestion d’une école de garçons, selon le rapport, il
avait voulu dénoncé les malversations dans le comptes de l’école dont du
soutien à un groupe paramilitaire déclaré illégal par le gouvernement. C’est à
la suite de cette dénonciation qu’il aurait été victime de menace et à la fin d’une
tentative d’assassinat. Il était même écrit qu’il s’était produit une
mystérieuse explosion à l’école dans laquelle des étudiants étaient morts. Par miracle,
Mawami avait dû s’absenter ce jour-là, mais il avait tellement eu peur pour sa
vie qu’ensuite il a demandé à venir ici en tant que réfugié avec sa famille.
-Où veux-tu en venir ?
-Imaginons quelques instants que tout ça ait été une
mise en scène ! Ce n’est pas impossible. Imaginons qu’il ait été, lui, responsable des
détournements de fonds vers les groupes terroristes et qu’il ait été menacé par
la direction de l’école qui l’aurait découvert. Pour un groupe armé, c’est
facile d’organiser un "faux" attentat pour faire peur à tout le
monde. Et en même ils ont fait d’une pierre deux coups, lui, Amir Mawami en
profite pour venir et continue le financement du groupe sans problème, à l’abri
de tout soupçon et de tout danger.
-C’est toute une théorie !
-Je sais, j’ai un peu échafaudé à la fin.
Il faudrait étayer tout ça. Mais pour revenir à sa femme, ça vaut vraiment la
peine de la revoir.
-Pas juste que ça vaut la peine. C’est
devenu indispensable. Bon, maintenant, on s’en va. Est-ce que je peux d’inviter
à souper chez moi ?
-Juliette n’est pas là ?
-Non, elle a décidé d’aller quelques jours
à Lac-des-Sables, s’occuper de quelques affaires. On n’est pas fâchés, mais, tu
sais que lorsqu’on est au beau milieu d’une enquête, il y a bien des choses qui
prennent le bord.
-Oui, je le sais très bien.
Ainsi le lendemain, après la rapide lecture
des journaux, et après avoir mis la journée de travail de son équipe en Paul se
plonge dans l’organisation de l’interrogatoire à venir. Roxanne, de son côté,
contacte Stéphanie Aubut à Gatineau.
-Allo ?
-Stéphanie Aubut ?
-Oui, c’est moi.
-Bonjour, c’est l’officière Roxanne
Quesnel-Ayotte du poste de la Sureté du Québec à Papineauville. Nous nous
sommes parlé et vues il y a quelques jours.
-Oui, je m’en souviens très bien.
Au ton de voix de son interlocutrice,
Roxanne devine qu’elle n’a pas gardé de cette première rencontre un très bon
souvenir.
-Nous sommes désolés que cette première
rencontre ne se soit pas très bien passée. Il faut comprendre que nous menons
une enquête difficile sur un meurtre violent et que plusieurs d’entre nous
avions les nerfs à fleur de peau.
-Oui, oui; je comprends.
-Je vous appelle parce que nous aurions
encore besoin de vos services pour au moins un interrogatoire et peut-être plus
dépendamment du déroulement de la journée. C’est toujours la même enquête. Pourriez-vous
venir cette après-midi ? Je peux envoyer une voiture vous chercher vers quatorze
heures si ça vous va ?
-Oui, oui; je n’ai pas de cours aujourd’hui.
Et les enfants sont au CPE. Il faut juste que je prévienne mon conjoint pour qu’il
aille les chercher.
-Merci; je vous attendrais. La voiture
sera chez vous à quatorze heures comme je vous l’ai dit.
-À cette après-midi.
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