mardi 28 mars 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 21

                C’était bien malgré elle que Stéphanie avait provoqué toute une série d’événement en cascade qui avaient rallongé la journée. Si bien que ce ne sera que tard en soirée qu’elle avait pu rentrer chez elle à Gatineau. Roxanne lui avait proposé, plutôt que de la laisser repartir anonymement dans une voiture quelconque, de la ramener à sa demeure pour la remercier de sa précieuse aide. C’est de cette série d’événements qu’elles conversent en chemin.
                -C’est tout un dénouement !
                -Oui, vous nous avez grandement aidés; sans vous, je ne sais pas ce qu’on aurait pu faire.
                -C’est donc cette femme, madame Mawami, qui a tué son mari.
                -Et oui; un crime qui n’a finalement rien à voir avec les réseaux terroristes internationaux, comme on pouvait le croire, même si la conclusion de l’enquête nous permettra d’établir définitivement quels étaient les liens de monsieur Mawami avec eux, et quel était son niveau d’implication… Oui, elle avait raison de s’accuser, elle a bien tué son mari; elle est bel et bien descendue du balcon de la mosquée en pleine prière du soir comme si elle s’en allait à la salle de bain. Mais dans le couloir qui mène au Centre culturel, elle a plutôt continué son chemin jusqu’au bureau de son mari. A-t-il été surpris de la voir ? Il semble que non, peut-être était-elle déjà venue le trouver dans son bureau ? En tout cas, il n’a pas réagi; il s’est, disons… comme laissé faire.
                -Et puis personne ne pouvait la voir.
-C’est vrai, une fois dans le couloir vers le Centre culturel, elle était complètement à l’abri des regards. Mais je pense que ça ne l’inquiétait pas trop….
-Comment ça ?
-Je crois qu’elle savait qu’aucune des femmes ne la trahirait; je crois qu’on aurait pu faire l’interrogatoire des autres femmes qui étaient au balcon avec elle, et aucune d’elles ne l’aurait dénoncée. Elles auraient probablement toutes dit qu’elle était restée en haut avec elles, ou bien qu’elles n’avaient rien vu parce qu’elles étaient trop absorbées par la prière ou par le prêche de l’imam. Probablement… certainement qu’elles étaient au courant de ses déboires avec son mari…
-La solidarité féminine…
-Oui, quelque chose comme ça. Ces femmes-là… je ne veux pas les pointer du doigt, ni les mettre dans des stéréotypes, ou leur faire vivre ce qu’elles ne vivent pas, mais il est bien évident qu’elles évoluent dans un milieu assez traditionnel, dans lequel les coutumes ont la vie dure. Elles doivent toutes vivre à peu près la même situation de femmes soumises à leurs maris, et ensuite soumises à leurs fils… Aucune d’elles n’aurait voulu se désolidariser, aucune d’elles ne l’auraient trahie. Ce n’est pas un meurtre sans témoin, c’est un meurtre dont tous les témoins choisissent de rester muet.
-Le meurtre parfait, en quelque sorte !
-Je ne sais pas… Je ne sais pas si le meurtre parfait existe… Elle avait donc raison de s’accuser du meurtre de son mari, mais ce n’était pas pour protéger son fils comme elle le prétendait, mais pour protéger sa fille, sa fille ainée, Hamza, celle qui est restée silencieuse durant toute l’enquête. Et ça c’est votre… ton intuition qui nous l’a fait découvrir. Nous te devons une fière chandelle.
-J’ai fait de mon mieux, tu sais.
-C’était remarquable. Ce que ça nous a permis de découvrir, c’est qu’après avoir "bien" marié son fils, à une bonne Pakistanaise comme il faut, son mari voulait marier sa fille ainée avec un vrai patriote et il voulait l’envoyer au pays où l’attendait ce mari en question celui qu’il avait choisi pour elle au cours d’un précédent voyage… Ce que Hamza nous a confirmé quand on la fait venir au poste.
-Oui, ça n’a pas été facile pour elle de l’avouer.
-Non, elle était prise entre deux feux; elle ne voulait pas accuser sa mère, mais elle ne voulait pas mentir non plus : elle non plus ne voulait pas de ce mariage !
-Un mariage arrangé…
-Et arrangé par son père, contre son gré.
Les deux femmes roulent en silence quelques minutes en réfléchissant au sort de bien des femmes dans le monde. Stéphanie reprend :
-Probablement que plusieurs des autres femmes de la mosquée connaissaient cette histoire de mariage arrangé… Elles doivent se parler entre elles, se raconter leur heurs et malheurs.
-Oui, tout à fait. Probablement que madame Mawami leur avait dit tout ça; et toutes elles savaient de quoi madame Mawami leur parlait. Ça doit être assez courant. Peut-être même qu’elle leur a dit quelque chose comme : "Je vais empêcher ce mariage, croyez-moi." Et peut-être que sans trop vouloir le laisser paraître, elles l’ont encouragée. Elle avait essayé de convaincre son mari; elle l’a supplié; elle avait fait appel à son fils, comme il nous l’a raconté ce soir quand il est venu avec sa sœur et qu’on l’a interrogé à son tour. Peut-être avait-elle pensé à d’autres moyens d’empêcher ce mariage. Et finalement, elle en était arrivée à la conclusion que la seule solution pour empêcher ce mariage, c’était de tuer son mari. Elle a trouvé un moyen, elle a élaboré son plan, et elle est passé à l’action.
-C’est un meurtre prémédité…
-À quelque part, oui, est-ce que ce sera l’accusation qui sera retenue ? On peut plaider la "défense d’une personne en danger."
-Qu’est-ce qu’il va lui arriver ?
-Je ne sais pas. On verra… C’est à la justice de prendre le relais.
-Il fallait qu’elle soit désespérée pour abattre son mari comme ça, froidement, d’un coup de couteau.
-Oui; et un seul coup de couteau ! C’est presque du grand art ! Elle a utilisé l’un de ces minces poignards qui font partie des armoiries de la famille, armoiries qui trônent dans le couloir de leur maison. C’était habile, très habile. Avant de partir pour la mosquée, elle a glissé l’un de ces poignards dans les replis de son sari. Personne ne pouvait le voir. Et une fois le coup porté, elle l’a simplement essuyé dans l’une de ses couches de vêtements, a redissimulé le poignard dans son sari, et ni vu ni connu elle est allée reprendre sa place au balcon avec les autres femmes. Elle se disait qu’elle ne serait jamais accusée, car aucune femme ne témoignerait contre elle.
-Mais elle n’avait pas prévu l’arrestation de son fils…
-Et non ! C’est ça qui a tout fait déraper. Alors que ça n’avait rien à vois ! Si protéger sa fille était important pour elle, protéger son fils l’était encore plus. Il lui était insupportable de voir sa fille mariée à un homme dont ni elle ni sa fille ne voulait, mais il lui a été encore plus insupportable de voir son fils Kamala en prison, et les chaines aux mains et aux pieds. C’est son fils le plus jeune, celui qui a quitté la maison parce qu’il n’en pouvait plus de son père ! Elle ne pouvait pas le défendre contre son mari, mais elle pouvait au moins le défendre contre cette société qui voulait lui faire du mal. C’était trop pour elle ! Alors, à nouveau, elle en est arrivée à la conclusion que la seule façon de sauver son fils, c’était de se dénoncer… sans savoir que nous allions le libérer le lendemain.
-Vous alliez le libérer ?
-Mais oui; nous ne pouvions le garder en garde à vue préventive plus de quarante-huit heures. Oui, on aurait pu l’accuser de possession et de trafic de drogues, mais on s’était dit, mon père et moi, que nous aurions d’autres occasions de l’interpeler et qu’il était plus urgent de nous concentrer sur le crime de la mosquée.
-Le directeur du poste… c’est ton père ?
-Mais oui… C’est comme ça.
-Qu’est-ce que ça fait de travailler avec son père… et dans la police en plus ?
-Ça va… On est différents… C’est sûr qu’il a influencé mon choix de carrière, mais j’ai toujours aimé le voir travailler; j’ai toujours été fascinée par ce qu’il faisait… et qu’il faisait bien. Je sais qu’il est fier de moi, mais je ne suis pas devenue membre de la police pour lui faire plaisir. C’est mon choix; il ne m’a jamais fait de pression… Et c’est moi qui ai choisi de venir à Papineauville. Là non plus, il n’a fait aucune pression. Je crois qu’au début, c’est surtout lui qui se sentait mal à l’aise, impressionné… plus que moi; mais bon, aujourd’hui, ça va très bien. Dans les enquêtes, on se complète très bien… Et je suis sûre qu’on va en vivre encore beaucoup d’autres.



FIN

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