lundi 1 mai 2017

Un lieu de repos
Chapitre 5

En sortant du gîte et jetant un coup d’œil sur l’environnement, Paul remarqué que le terrain est bien entretenu avec des arrangements floraux naturels dans le même style que le sentier de méditation. Les deux bâtiments aussi, tant celui du gîte comme tel et que celui où logent les sœurs, sont bien conservés, même s’ils datent d’un certain nombre d’années. Il y a quelques voitures dans le stationnement, peut-être les voitures du personnel. Laquelle est celle du couple assassiné ? Quand on aura trouvé leurs clés dans leur chambre on pourra la fouiller.
Et bien sûr, les curieux habituels commencent à s’agglutiner sur le site formant une foule compacte et bruyante à peine arrêtée par les cordons de sécurité. Paul se dit qu’il doit demander des renforts; qu’il devra aussi faire venir le poste de commandement mobile, un véhicule tout spécialement équipé.
-Ah, Roxanne ! J’aurais bien besoin de toi…
Sa fille Roxanne qui a suivi se traces et avec qui il l’insondable privilège de travailler depuis maintenant trois ans est en congé, et même en vacances. Elle est partie à Cuba avec son ami/copain/semi-conjoint à temps partiel Fabio. Il est Mexicain d’origine mais il a dû fuir son pays parce qu’il se savait menacé par des bandes mafieuses, des trafiquants de drogues. Dans sa ville natale Guadalaraja, il était un artiste de rue, c’est-à-dire qu’il embellissait les rues des quartiers populaires par des œuvres d’art, que ce soit des peintures ou autres créations sculpturales. Il avait travaillé avec les jeunes de la rue et avait monté un programme, en association avec la municipalité, qui leur permettait de se sortir de la misère. Ses succès comme travailleur de rue n’avaient pas fait l’affaire de tous et on l’avait bien averti qu’on allait lui régler son compte et il était venu se réfugier à Montréal. Roxanne l’avait rencontré par l’entremise d’amis communs et ils s’étaient plu; pendant quelques temps, quand elle avait obtenu son transfert à Papineauville, Fabio était venu vivre avec elle à Fasset, mais comme il n’avait pu se trouver un emploi qui lui convenait, il était reparti vivre à Montréal. Comme il disait, il n’avait pas trouvé en Outaouais l’environnement nécessaire à sin inspiration. Fabio était un citadin, un artiste urbain; c’était les rues « sales et transversales » qui l’inspirait, c’était les foules qui l’animaient, c’était les grincements des voitures qui lui permettaient de créer. Il vivait dans le petit atelier qu’il louait dans une ancienne usine transformée en une sorte de coopérative d’artistes marginaux.
Roxanne allait le voir une fois par fois à peu près, mais Paul se doutait un peu que cette relation, déjà fragile, ne survivrait à des telles fréquentations épisodiques. Fabio ne croyait pas pouvoir encore retourner au Mexique, ils étaient partis pour une petite escapade d’une semaine à Cuba.
Paul a divorcé de sa femme Monique, il y a plus de vingt ans; mais récemment, justement au cours de l’un de ses enquêtes il a rencontré un « Juliette ». « Elle s’appelle vraiment Juliette », répétait-il amusé à chaque fois qu’il l’a présentée à ses amis. Juliette habite à Lac-des-Sables; elle une bibliothécaire à la retraite qui s’occupe du bureau de tourisme local et qui y a ouvert juste à côté un petit salon de thé. Paul n’arrive pas à s’expliquer exactement ce qui s’est passé, mais le fait est que Juliette et lui se sont mutuellement trouvés du charme et ils ont décidé de tenter l’aventure de refaire leur vie ensemble. Pour l’instant, ils ont encore chacun leur maison, près d’ici dans les environs de Plaisance et elle à Lac-des-Sables. Le problème est que les deux résidences sont bien situées et agréables à habiter.
Les exclamations de la foule de curieux le ramènent à la réalité. Isabelle vient vers lui.
-Quelle est la suite, chef ?
-L’équipe d’investigation est en route, le poste de commandement aussi. Ce qui m’inquiète, c’est ce ciel qui s’obscurcit; j’espère qu’il ne pleuvra pas avant qu’on ait terminé aujourd’hui.
-Il faudrait s’occuper de cyclistes, chef; il y en a un qui nous menace de tout ce qu’on voudra !
-Oui, je sais; mais leur histoire n’est pas claire… Je vais les voir. Qui est celui qui fait du grabuge ?
-Il s’appelle Martin Brisson, mais vous vous apercevrez vite vous-mêmes.
-Et puis, fais éloigner encore un peu les curieux…

Les six cyclistes sont maintenus en effet entre deux voitures de police; ils ont leurs casques et leurs vélos en main et ils discutent ferme avec les policiers, enfin « discuter » est un grand mot.
-Ça n’a aucun sens !!
-On n’a rien fait !
-On veut poursuivre nos parcours; on veut s’en aller !
-Si on avait su on n’aurait jamais appelé les secours !
Paul intervient :
-Je suis vraiment désolé, messieurs, dames; je sais que c’est très frustrant.
-C’est plus que frustrant : c’est enrageant ! C’est inacceptable, hurle le Martin Brisson en question.
-Écoutez; je vous invite à rentrer à l’intérieur, on y sera mieux que dehors comme ça.
-On veut pas rentrer, on veut s’en aller.
-Monsieur Brisson, moi aussi je désire de tout cœur vous laisser partir, mais vous savez qu’il s’agit d’une affaire grave. Je vous remercie d’avoir collaborer jusqu’à maintenant et si tout va bien, je vous promets que vous pourrez repartir dans une petite heure.
-Mais dans une heure, ce sera midi et il sera trop tard pour faire notre route aujourd’hui.
L’un des deux autres hommes prend la parole :
-Écoute Marc, notre journée est déjà perturbée, alors qu’est-ce qu’une heure de plus va changer. Et puis le capitaine a raison; il s’agit de quelque chose de grave…
-Et puis plus on discute, plus on perd du temps, complète une femme.
-Alors allons-y. Laisser vos vélos ici, ils sont sous bonne garde
Le petit groupe se dirige vers le gîte. D’un œil, Paul interroge Jean-Daniel. Ce dernier s’est chargé de chercher dans l’ordinateur tout ce qu’il était possible de trouver sur les six cyclistes.
-Rien de concluant, chef. Aucun n’a de casier judiciaire; une des femmes a immigré du Venezuela il y a dix ans, mais tout à fait légalement. Ils sont les six des retraités « sans histoire » de différents milieux; ils habitent les six à Gatineau. Et tout de suite, comme ça, il n’y a aucun lien avec les victimes; mais pour ça, il faudrait pousser plus à fond. La seule petite petite piste est que l’un d’eux a fait carrière dans une agence privée de sécurité. Mais, chef, qu’est-ce que ça vaut ?
-Lequel ?
-Il s’appelle… Martin Brisson.

Après leur a fait apporter des rafraîchissements, Paul demande de les voir l’un après l’autre; il a demandé pour ça d’utiliser le bureau de sœur Gisèle.
-Madame Châteauneuf, vous m’avez dit que c’est vous qui aviez trouvé le corps; racontez-moi encore ce qui est arrivé.
-En fait je n’ai pas tout à fait « trouvé les corps », comme vous dites. Nous allions partir pour notre journée, et la sœur à la porte nous a suggéré de passer par le sentier de méditation, en disant que ça en valait la peine, et en disant qu’il y avait une sortie au bout du chemin. Rendus là, j’ai vu ce qui semblait être un objet oublié sur un banc… et comme on était les premiers sur le sentier ce matin, ça m’a semblé bizarre. Mais ce n’était pas un objet…
-Pourquoi avez-vous regardé dans cette direction ?
-Je ne regardais pas spécifiquement dans cette direction; je voulais jeter un dernier coup d’œil parce qu’effectivement c’est un bel endroit; je me préparais à sortir mon appareil pour prendre une ou deux photos.
-Je vois… Dites-moi est-ce que vous les connaissiez ces deux personnes ?
-Non, pas du tout ! Je ne les ai jamais vues ! Je ne les connaissais pas !
-Mais ils étaient ici, au gîte, hier soir; vous ne les avez pas vus ?
-Non, je ne me souviens pas. Nous avons mangé ensemble et…
-Et quoi ?
-Rien, rien; on a mangé et on est rapidement monté à nos chambres.  Nous faisons des longues journées, vous savez.
-Vous souvenez-vous s’il s’est passé quelque chose de particulier ou d’étrange, durant le repas ?
-Non; on a jasé de choses et d’autres, et tout s’est bien passé…
-Est-ce qu’il y a quelqu’un qui parlait trop fort, par exemple; ou quelqu’un qui a raconté sa journée…
-Non… personne.
-Martin Brisson, c’est votre conjoint ?
-C’est c’est mon deuxième mari; nous nous sommes mariés il y a quinze ans.
-Et c’est son idée, ces expéditions en vélo ?
-Martin a toujours été un grand sportif; il s’est toujours gardé en forme; il a fait plusieurs Ironman. Pour lui, partir en vélo, c’est les vraies vacances. Au début on portait juste nous deux, mais à force d’en parler à nos amis, il y a deux autres couples qui nous ont rejoints, Emma et Jean-Guy et Diana et Frédérique. C’est plus agréable; la dynamique est meilleure. Et puis, à cinq c’est plus facile de… contrôler Martin.
- « Contrôler » ?
-Oui, comme je l’ai dit, il est très en forme; plus que nous. Et il aime se lancer des défis, comme faire cent kilomètres dans une journée; ou atteindre une vitesse moyenne de 30 kilomètres/heure; ou encore prendre les pistes les plus difficiles. Mais nous, on arrive pas à le suivre; alors on est souvent obligé de modérer ses transports.
-Et quel était son défi dans cette expédition ?
-Son défi ?
-Oui, est-ce qu’il s’était fixé un défi avant de partir ?...

-C’est curieux que vous me posiez cette question, parce qu’il a souvent répété cette semaine que ce qu’il aimerait vraiment faire, c’était une étape de nuit; de partir vers minuit par exemple, et d’arriver à destination aux petites heures du matin. Mais personne d’autre n’a embarqué dans son rêve en tout cas !

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