Un lieu de repos
Chapitre 8
Paul réagit à ce qu’avance Diana
Gonzalez,
-Un comportement bizarre ? Que voulez-vous dire par là ?
-C’est que il était toujours en train de manipuler son téléphone
cellulaire… je trouvais ça… anormal. Nous, dans le groupe on a un téléphone
cellulaire, mais seulement pour les urgences, dans le cas d’un accident. On
veut la tranquillité; on est vacances, on veut pas être dérangés
continuellement. Et lui pendant tout le repas, à chaque fois que je le
regardais, il regardait son téléphone cellulaire… Je l’ai vraiment observé.
C’est pour ça que quand on les a découvert ce matin, sur le banc, je l’ai tout
de suite reconnu.
Paul encourage son interlocutrice; un deuxième petit fil de rien du
tout.
-Est-ce qu’il a parlé au téléphone ?... Qu’est-ce qu’il faisait
exactement ?
-Le plus souvent, il faisait juste le regarder; des fois, il le
manipulait, il consultait quelque chose, des applications, ou quelque chose…
-Et la femme qui était avec lui, qu’est-ce qu’elle faisait ? Est-ce
qu’elle avait aussi un cellulaire ?
-Non, elle, elle mangeait son repas. Mais elle n’a pas beaucoup mangé;
ni lui non plus d’ailleurs. Il mangeait mais sans regarder son assiette il
regardait son téléphone.
-Ce n’est pas interdit d’avoir un téléphone cellulaire… et ce n’est pas
interdit de l’utiliser en mangeant.
-Non… c’est pas interdit, mais ici… Vous avez
pas vu l’annonce à l’entrée : Le
gîte du pèlerin : lieu parfait lieu de repos et de ressourcement ?
Et dans la publicité on demande aux gens qui séjournent ici de limiter l’usage
des appareils électroniques, comme les ordinateurs, les tablettes, les
téléphone cellulaire, pour préserver la sérénité des lieux et le confort des
autres résidents. Utiliser son téléphone comme il le faisait, ça me paraissait…
comment je peux dire, ça me paraissait « incorrect » dans le lieu où
nous étions.
-Donc, il le regardait souvent… Est-ce qu’il avait l’air d’attendre un
appel… un appel important ?
-Ye ne sais pas… Il faisait toujours comme ça…
Diana fait le geste de sortir un objet de sa poche de chemise, de le
regarder et de le replacer dans la poche.
-Il regardait, il le « pitonnait » et il le remettait à sa
place.
-Et il a fait ça durant tout le repas.
-Oui.
-Et est-ce qu’il y a d’autre chose qui vous a frappé, quelque chose
d’autre que vous avez remarqué ?
-J’ai remarqué que l’homme et la femme ne se parlaient pas.
-Ils ne se parlaient pas ?...
-Non; ils mangeaient face à face, lui regardait son cellulaire, et elle
ne faisait rien, et ils n’ont pas dit un mot de tout le repas. C’était vraiment
bizarre, parce que c’est comme s’ils ne se connaissaient pas; on dirait qu’ils
ne voulaient pas se regarder. Ils s’ignoraient. Pour un couple, c’est bizarre.
-Et pendant la… discussion entre Martin et Frédérique, qu’est-ce qu’ils
ont faits cet homme et cette femme ? Est-ce qu’il a continué à consulter son
téléphone ?
-Ye ne sais pas trop. À ce moment, j’ai arrêté de les regarder, car
Martin et Frédérique parlaient un peu fort. Moi, j’ai essayé de calmer
Frédérique; je trouvais que ça ne valait pas la peine de discuter avec Martin.
Il revient toujours avec ces même histoires… il est souvent insistant. Alors,
moi je fais comme s’il n’existait pas; je le laisse faire. Mais Frédérique
trouvait qu’il exagérait, et c’est vrai, il a exagéré, et il voulait lui faire
comprendre. Je ne voulais pas que ça gâche notre voyage en vélo.
-Merci beaucoup, madame Gonzalez, conclue Paul en se levant et en
tendant la main à sa vis-à-vis. Vous m’avez beaucoup aidé; j’espère en effet
que ce qui s’est passé ici ne gâchera pas votre petit voyage.
Il restait à Paul à voir les deux protagonistes de cette
« discussion virile » : Frédérique Tousignant et Martin Brisson.
En quoi ce qu’il venait d’apprendre était
important ? Comment le relier au double meurtre ? Y avait-il seulement un lien
? Il y avait bien ces deux ou trois petits fils, mais ce n’était absolument
pas convaincant.
-Frédérique Tousignant, vous avez fait carrière comme médecin…
-Oui, en effet.
-C’est donc vous qui êtes le médecin de votre groupe ?
-Oh, c’est un bien grand mot pour un petit rôle. Je me contente de
soigner les petits bobos habituels : courbatures, muscles endoloris,
ampoules… On peut toujours faire une chute en vélo, mais ça n’arrive pas très
souvent, pas à nous en tout cas. Nous n’allons pas très vite et nous prenons
des sentiers balisés.
-Qu’est-ce que vous avez fait quand Alexandra a découvert les corps ?
-Moi j’étais déjà à l’extérieur du parc quand elle a crié, avec Diana.
On s’est regardés; on ne savait trop ce qu’il se passait… j’ai pensé que Martin
avait eu un accident, une crise cardiaque ou quelque chose comme ça. On s’est dépêchés
de revenir.
-Oui, et là ?…
-Et là… La première chose que j’ai vue, ce sont les deux vélos, celui de
Martin sur sa béquille et celui d’Alexandra couché sur le sol. Martin la tenait
dans ses bras, et quand il m’a vu il a pointé vers l’arrière… Alors j’ai vu les
deux corps sur le banc.
-Vous ne vous êtes pas approché ?
-Oui, je me suis approché, mais je n’ai pas eu besoin de tâté leur pouls
pour savoir qu’ils étaient morts tous les deux. C’était assez évident. La mort
remontait à plusieurs heures. On le voyait par la rigidité des corps et le sang
complétement coagulé. Et puis il y avait une arme par terre. Là Emma et
Jean-Jacques sont arrivés à leur tour et je crois que c’est Jean-Jacques qui a
téléphoné au 911.
-Durant votre carrière, vous avez souvent côtoyé la mort ?
-Quelques fois, oui…
-Aviez-vous déjà vu ces deux personnes auparavant ?
-Non, jamais, bien sûr. On ne les connaît pas.
Paul décide d’aller à la pêche dans une autre direction
-Vous êtes aussi le photographe de votre petit groupe ?
-Oui, en effet; je ne suis pas un professionnel, mais j’ai beaucoup
voyagé et j’ai toujours aimé photographier les endroits que j’ai visitée, les
paysages, les lieux touristiques, les gens…
-Que pensez-vous de cet endroit ?
-Que voulez-vous dire ?
-Vous avez un œil… disons, aiguisé. Est-ce que c’est un lieu digne d’être
photographié ?
-Tout est digne d’être photographié… mais pour ce qui est d’ici même, je
dirais que c’est moyen. Le monastère n’est pas très original, l’aménagement
extérieur bien ordinaire…
-Et le Sentier des pèlerins, vous ne le trouvez pas à votre goût ?
-C’est certainement parfait pour se promener, pour la méditation, pour la
réflexion, mais c’est un peu… forcé; vous comprenez. On a disposé les objets et
les éléments naturels dans le but d’inciter les gens à méditer, pas dans un but
esthétique.
-On m’a dit que plusieurs d’entre vous avez fait une promenade dans le
sentier hier soir; vous avez bien dû prendre quelques photos ?
-Oui, quelques-unes, mais plus de l’environnement que du parcours si
vous comprenez ce que je veux dire…. Mais pourquoi toutes ces questions ?
-Vous savez que deux personnes sont mortes de façon suspecte sur les
terrains du centre. Je cherche à me renseigner le plus possible. Auriez-vous
remarqué quelque chose qui vous aurait frappé depuis que vous êtes ici, que ce
soit lors de votre arrivé, lors du repas, ou pendant la promenade ?
-Non, rien de particulier… C’est un endroit comme un autre, peut-être
avec une vocation particulière, mais comme bien d’autres.
-Et ce matin… Il n’y a rien qui vous a frappé ? Il n’y avait rien de
différent de la veille ?
-Non, je n’ai rien remarqué.
-Racontez-moi ce qui s’est passé hier soir pendant le repas…
-Vous voulez parler de notre argumentation entre Martin et moi ? Il
voulait absolument qu’on se lève à deux heures du matin pour faire une étape de
nuit, et moi ça ne me tentait pas; je trouvais que ça briserait le rythme du
voyage… Oh, et puis ce n’est pas la première fois qu’on s’asticote un peu. Martin
aime bien tout diriger, mais en fait, il a raison : il est bon pour nous
organiser des voyages. Au fil du temps, nous sommes allés à Sherbrooke, à
Québec, dans les Laurentides. Il a le don de nous trouver de beaux endroits à visiter,
et de nous faire de beaux circuits. Voyager en vélo est tout à fait spécial, on
peut beaucoup plus apprécier les beauté d’une région spécifique.
-Vous ne considérez pas vous être disputés hier soir ?
-Oui, on a un peu élevé la voix… mais… je ne sais pas quoi dire; qu’est-ce
que ça à voir avec la mort des deux personnes ?
-En effet, cela n’a rien à voir avec la mort des deux personnes, mais j’essaye
simplement de récolter le plus d’éléments possibles sur la séquence des
événements. Pendant votre promenade dans le sentier, vous n’avez rien vu qui
vous aurait surpris ?
-Non, rien du tout. Seulement qu’on essayait de ne pas retomber dans la
discussion du souper. C’était une paix tacite… En fait, indirectement, ça nous
a fait du bien de faire le Sentier; ça nous a calmés.
-Et pendant la promenade, vous n’avez pas vu l’une ou l’autre de deux
personnes qui sont mortes ?
-Non.
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