mardi 6 février 2018

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 16

-Mais tu vois ! On a encore affaire aux jésuites !
-Là, vraiment, je ne sais pas… c’est peut-être juste une coïncidence.
Paul et Roxanne avait mené Jasmin Vincelette au poste de la Sureté du Québec de Gatineau pour la prise d’empreintes et le prélèvement d’ADN. Ce dernier avait finalement compris que plus grande serait sa collaboration, moins il ne serait embêté et plus vite on le laisserait tranquillement; plus vite il pourrait laisser cette mauvaise histoire derrière lui, et plus vite il pourrait se remettre à la traque. Il avait dont accepté de se laisser conduire au poste, de signer une décharge pour que ces données soient transmises dans la juridiction de Papineauville, et il s’était laissé sans trop rechigner, les doigts sur un écran tactile, puis un petit échantillon de salive. En moins d’un quart d’heure c’était fait.
Une fois le tout terminé, Paul l’avait laissé aux soins d’un agent de police qui devait le ramenait chez lui, en s’excusant auprès de lui pour les inconvénients et en le remerciant de sa collaboration. Il lui avait répété de le contacter dans le cas où il se souviendrait d’un quelconque autre petit détail qui pourrait aider l’enquête et il lui avait même demandé s’il désirait être au courant des suites et des résultats de l’enquête; mais Jasmin Vincelette avait sèchement refusé aux deux propositions.
Paul et Roxanne se doutaient bien que cette prise d’empreintes et d’ADN était plus une formalité qu’un tournant majeur dans l’enquête du meurtre du journaliste Simon-Pierre Courtemanche, et que cela n’allait que confirmer ce dont il se doutait déjà : que les empreintes relevées dans la maison du journaliste tout autant que celle relevées dans sa voiture abandonnée étaient bel et bien les siennes. Ainsi l’histoire et les alibis de Jasmin Vincelette serait en partie confirmée, mais la version de Roxanne voulant que ce soit Courtemanche qui lui ait demandé de partir parce qu’il en aurait eu assez de payer pour ses frasques, était certainement plus crédible. C’est ce qui expliquait les heures et même les boulots supplémentaires qu’il avait accompli ces six derniers mois. Il faudrait probablement l’innocenter. Mais ni l’un ni l’autre ne croyait Jasmin Vincelette capable de l’avoir tué. Et il y avait le problème de la voiture abandonnée, et des traces de pas dans la neige : indubitablement, les meurtriers devaient être au moins deux.
On en revenait à cette « enquête mystérieuse » que Simon-Pierre Courtemanche poursuivait pour son propre compte, et, comme par hasard (mais Paul ne croyait pas beaucoup au hasard) elle les menait, Paul et sa fille, vers un village portant le nom d’un des plus célèbres jésuites de l’histoire du Canada et du Québec.
-Où est-ce qu’on retrouve le corps de Courtemanche ? Dans un lac qui est situé dans sa totalité dans un terrain qui appartient aux jésuites. Qui est-ce qui retrouve le corps ? Un pére jésuite qui faisait tout bonnement une promenade en bateau sur le lac ce matin-là, mais qui aurait dû être parti depuis la veille. On découvre que Courtemanche était homosexuel ? Et on sait que plusieurs religieux, toutes communautés confondues le sont aussi. On fait une fouille dans sa maison et qu’est-ce qu’on y découvre ? Un exemplaire de la revue des jésuites. Et maintenant, cette piste qui nous mène à Brébeuf, un jésuite martyr !
-Ce n’est qu’un nom, papa ! Les jésuites n’ont rien à faire dans le fait que le village s’appelle « Brébeuf » !
-Ça, il faudra s’en assurer….
Ils étaient attablés dans un petit restaurant anonyme de Gatineau. Paul avait commandé une omelette au fromage et Roxanne avait pris, en de telles circonstances, son habituelle salade au thon. Il était déjà tard dans l’après-midi et elle l’avait entamée avec appétit. Au milieu d’une bouchée elle s’était mise à raisonner tout haut :
-Donc selon ce que nous a dit Vincelette. Simon-Pierre Courtemanche aurait farfouiller du côté de Brébeuf et c’est sans doute là qu’il était samedi dernier lorsqu’il est allé chercher ses affaires chez lui. Ce serait donc à Brébeuf, supposons, qu’il aurait été tué, et ensuite on aurait transporté son corps jusqu’à Saint-Michel, et on l’aurait jeté dans le lac Dansereau du haut de la falaise ?...
-On peut supposer...
-C’est sûr qu’on doit aller voir du côté de Brébeuf, voir ce qui s’y trame…
-Oui, mais il ne faut pas y aller, comme on dit la tête baissée. Je crois qu’une conversation avec Jean-Marc Bouchard s’impose.
-Le frère Bouchard !? Mais pourquoi !?
-Mais tu vois ! On a encore affaire aux jésuites !
Et c’est là que Roxanne avait manifesté son désaccord :
-Là, je ne sais pas… c’est peut-être juste une coïncidence.
                Paul mangeait lentement, en mastiquant bien, son omelette manquait de goût, mais lui aussi sentait qu’il avait faim et il voulait en appréciait chaque bouchée.
                -Je sais bien, ma chère fille, que le village ne fait que porter le nom d’un des plus célèbres jésuites du Canada français, mais il faut vérifier si à par cette reconnaissance toponymique, les jésuites n’y ont pas été présents, par exemple, en y fondant et en y gérant une école ou un collège; ils ont pu y avoir aussi un « chalet » comme celui de Saint-Michel…
                -Mais il habite à Montréal; tu ne veux tout de même qu’on parte pour Montréal, maintenant ?
                -Non… mais on peut peut-être lui téléphoner…

                -Pardon ? Le commandant Quesnel ? De le Sureté du Québec ? Oui… oui… c’est moi…
                Paul avait l’impression que son appel avait extirpé Jean-Marc Bouchard de sa bienfaitrice sieste de l’après-midi.
-Quoi ?... Non, je vous confirme que les jésuites n’ont jamais été présents physiquement à Brébeuf; nous n’y avons jamais eu ni d’écoles, ni de missions…
-Pourquoi alors, d’après vous, le village porte le nom d’un jésuite ?
-Il faut dire qu’au début le petit hameau qui regroupait une demi-douzaine de familles d’agriculteurs s’appelait Chute-aux-Bleuets. C’est le nom que portait le premier bureau de poste au début du 20e siècle. Mais bon, jean de Brébeuf était un religieux, un jésuite, venu de France en 1625, dans le but, comme on disait à l’époque, « d’évangéliser les sauvages ».
Le père Bouchard était tout à fait réveillé maintenant; il prenait plaisir à parler des exploits de son illustre prédécesseur.
-Mais en fait c’était aussi un ethnographe hors du commun qui a vaincu quinze avec les Hurons. Il a écrit de nombreux, dont une grammaire et un dictionnaire. Brébeuf a décrit les Hurons au moment des premiers contacts avec les Européens, avant qu’ils ne soient presque anéantis que ce soit par des épidémies, des guerres et des massacres. Le 16 mars 1649, exactement, il est capturé au cours d’une attaque. Il ne voulant pas sauver sa peau sans ses amis autochtones, et il a préféré demeurer avec ses fidèles au lieu de prendre la fuite. Il est alors traîné au village huron de Saint-Ignace où il est accueilli par une pluie de pierres et d’injures; il est bastonné et littéralement lié au poteau de torture. Son martyr commence : on lui verse de l’eau bouillante sur la tête dans une cruelle parodie de baptême; puis on lui passe autour du cou un collier de cognées de tomahawks chauffées à blanc comme imitation machiavélique de son crucifix; et finalement, comble de l’horreur, on lui enfonce un fer rouge dans la gorge et dans l’anus. Ses ennemis s’acharnent sur lui : il est encore brûlé vif et son corps sera lacéré à coups de couteaux. Et même, après sa mort, son cœur est arraché et mangé. Tout ça est relaté par des témoins et bien documenté.
-Mais ça ne se passait pas du tout dans la région. Pourquoi « Brébeuf » s’est appelé « Brébeuf » ?
-Son martyr a été reconnu par Rome, et Jean de Brébeuf a été canonisé en 1930. C’est à ce moment-là que les habitants de Chute-aux-Bleuets ont voulu lui rendre hommage et ont changé le nom de leur village.
-Et vous me dites que la communauté des jésuites n’a jamais été présente comme telle à Brébeuf ?
-Non, jamais; pas à traves nos œuvres. Il y avait c’est sûr des représentants jésuites lors du re-baptême du village, et on y passe toujours avec un petit sentiment de nostalgie, mais rien de concret.
-Merci beaucoup, père Bouchard.
-Ces questions ont rapport avec la mort du journaliste n’est-ce pas ? Celui dont j’ai retrouvé le corps dans notre lac de Saint-Michel ?
-Vous comprendrez que je ne peux pas vous donner des détails, père Bouchard, mais sachez que vos réponses nous aident beaucoup.

-Alors ?...

-Alors, ma chère fille, on rentre; et demain dès la première heure, on se met en route pour Brébeuf.

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