lundi 12 février 2018

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 17

                Est-ce l’odeur, la bonne odeur du café qui réveille Juliette ? Ou est-ce le bruit que fait Paul en maniant la cafetière ? Elle étire un bras en dehors de la duvette pour attraper le réveille-matin numérique posé sur la table de nuit; il y jette un coup d’œil torve : 05h34. Pourquoi Paul s’est-il levé si rôt ? Par la fenêtre, elle voit qu’il fait encore sombre, que l’aube en a encore pour une bonne demi-heure à se déployer avant que la nuit laisse sa place au jour. Mais elle voit aussi la neige tomber mollement. C’est une fine, très fine neige, mais régulière et persistante et sans doute partie pour tomber pendant quelques heures. Bientôt toute la contré de l’Outaouais va disparaître sous une nouvelle duvette blanc immaculé. Plaisirs et rires d’enfants sont certainement en perspectives, mais cauchemar des automobilistes et maux de tête pour les agents de la paix.
                Que fait debout si tôt son policier d’amoureux ? Elle sort un pied puis l’autre du lit, enfile sa robe de chambre et descend l’escalier.
                -Bonjour…
                -Heu, bonjour, mon adorée. C’est moi qui t’ais réveillée ?...
                -Peut-être un peu… Tu te lèves plus tôt que d’habitude…
                Paul a toujours été un lève-tôt. Quand il avait 10-12 ans, il se levait tous les jours, six jours par semaine à 6h30 du matin, et ce sans aucun problème, pour aller passer le Montréal-Matin dans le rue de son quartier, avant de revenir à la maison, déjeuner avec ses frères (sa sœur était encore trop petite et elle dormait encore), et attraper l’autobus scolaire. Et cette habitude lui est toujours restée. À l’école secondaire, alors que la grande majorité des jeunes ont la réputation de veiller le plus tard possible et de ne pas être fonctionnels avant midi, au moins, il était un peu à contre-courant de sa génération : il aimait se coucher tôt et se lever tôt. Le cerveau fonctionne mieux quand il est reposé, répondait-il sans prétention quand on lui faisait des remarques. Bientôt, il avait pris la routine de préparer ses leçons ou même ses examens le matin, ou bien de juste lire, et ça lui avait bien servi au CEGEP et durant ses études de policier.
                -Oui… je n’arrivais plus à dormir… Je suis désolé, je ne voulais pas te réveiller… Je te prépare une tasse de café ?
                -Oui, merci… Ça sent bon…
Juliette regarde son Paul verser la tasse. Depuis quelques mois, ils ont pris la décision de vivre ensemble, et c’est elle qui est venue s’installer chez lui. Elle a toujours sa maison à Lac-des-Sables, mais ils ont convenu que c’était plus pratique pour lui de rester à Plaisance, d’où ça ne lui prenait que quinze minutes pour se rendre à son travail. La maison de Lac-des-Sables leur servirait l’été, et peut-être, espérait-elle une fois qu’il aurait pris sa retraite, ce qui, espérait-elle encore, ne saurait tarder.
-Merci… C’est la possibilité d’une tempête qui te stresse un peu ?
-Oui et non… C’est sûr que ça en rajoute une couche sur une journée qui s’annonce déjà très chargée.
-Ah oui ! C’est aujourd’hui que vous devez aller à Brébeuf, Roxanne et toi, dans cette enquête sur la mort du journaliste du Courant… Ça te tracasse à ce point-là pour te troubler le sommeil ?
-Je ne sais pas… Ça va demander une certaine préparation… Alors avec la neige qui s’ajoute, oui, ça va compliquer les choses… Mais c’est vrai…
-C’est vrai quoi ?
-C’est vrai que ce sera un peu un saut dans l’inconnu : on ignore tout ce de qu’on va chercher, et on ignore totalement ce qu’on va trouver là-bas… Ça fait bien des questions sans réponses.
-Je vois… Fais attention à toi… Faites attention à vous deux, mais fais attention à toi, mon chéri que j’aime. Je viens tout juste de te trouver, même si c’était sans vraiment te chercher et je ne voudrais pas qu’il t’arrive quelque chose. On a encore bien de belles années à passer ensemble !
-Tu as raison, mon adorée. Je te promets de faire attention. Ne t’inquiète pas...
Un beau câlin fait toujours du bien.

Paul avait réuni son équipe pour préparer la journée. À son arrivée il a dû répondre à quelques urgences à cause de l’état des routes, mais le voilà maintenant, une heure plus tard, qui expose ce qu’il a en tête. Il y a là tous ceux et celles qui ont participé à l’enquête de la mort « suspecte » du journaliste Simon-Pierre Courtemanche. La plupart sirotent leur café; ils se partagent une boite de pâtisserie. Il y a là, assis autour de la grande table, qui sa tablette, qui son portable posé devant eux, sa fille Roxanne, bien sûr : Isabelle Dusmenil et Félix Turgeon, ainsi que Sabrina Mila et Benoît Sauriol-Fortier. Charles Gazaille et Victor Petitclerc sont également présents; ces deux derniers avaient principalement assumé la garde du chalet des jésuites au bord du lac Dansereau, là où le corps du journaliste a été retrouvé; ce lieu n’étant plus désormais considéré comme une scène de crime, les barrières de sécurité ont été levé il y a deux jours.
-Je crois, dit Paul, que la neige, en fait, va nous aider dans notre intervention. Vous savez que nous pénétrons en territoire inconnu. Nous savons que Simon-Pierre Courtemanche menait, depuis plusieurs mois, une enquête journalistique qui devait, selon ses dire « faire du bruit ». Malheureusement, il voulait en garder le scoop et ne s’est confié à personne. Sauf que de forts indices, notamment ce qu’a pu découvrir Yannick et ce que nous a dit son ex-conjoint, nous font croire qu’il menait cette enquête à ou près de Brébeuf, à la limite nord-est de notre territoire. C’est donc ce lieu que nous allons investir. Même comme nous ne savons pas ce que nous cherchons, nous allons faire une petite mise en scène. Et c’est en cela que la neige va nous servir…
On peut entendre plusieurs murmures interrogateurs.
-Je m’explique. Comme je l’ai dit nous partons en territoire inconnu. Nous ne savons pas ce que nous cherchons, ni ce que nous allons trouver; il faut donc y aller avec, je dirai, circonspection…
Nouveaux murmures interrogateurs.
-Soyez plus clair, patron !...
-Je veux dire qu’il faut y aller avec prudence, en prenant des précautions. Nous ne savons pas sur quoi portait l’enquête de Courtemanche : s’agissait-il de simples malversations dans les affaires municipales, de recel de produits volés, de l’établissement d’un club de motards ?... Ça peut être n’importe quoi. Alors en même temps, il faut s’attendre à toute éventualité, et nous devons être en nombre suffisant, mais d’un autre côté nous ne pouvons nous rendre en trop grande force à Brébeuf, ça pourrait faire échouer toute l’opération. Il nous faut donc une bonne excuse pour s’installer à Brébeuf et c’est la neige qui va nous la fournir : nous allons établir des barrages routiers sous prétexte de conditions de routes difficiles. Deux équipes seront postées aux deux extrémités du village, avec vérification des voitures qui en entreront, surtout, et de celles qui en sortiront; vérification des vitesses en premier, mais aussi des permis valides, des pneus d’hiver, etc… Trouvez tout ce que vous pourrez trouver, mais en même, vous serez continuellement en alerte pour intervenir au premier appel. Parce que pendant ce temps, Roxanne et moi, nous irons faire le tour du village et au moindre signe suspect, on vous appellera.
Paul fait une petite pause.
-Turgeon et Isabelle vous prendrez le coin sud de la route 323, et Sabrina et Benoît vous prendrez le côté nord. Vous faites votre travail de policiers « normaux », mais vous devrez être prêts à intervenir immédiatement. Compris ?
Quatre voix répondent : « Oui, c’est compris, chef. »
-Quant à vous deux Charles et Victor, vous resterez dans les environs. Patrouillez sur la 323, sur la 315, et la 364, mais sans jamais trop vous éloigner. On pourra avoir besoin de vous n’importe quand pour poursuivre quelqu’un qui s’enfuirait par exemple. Dans tous les cas, nous restons en contact permanent.

Les trois auto-patrouilles se sont dirigées vers le petite village de Brébeuf de façon à ne pas arriver en même temps, toujours éviter d’éveiller l’attention; d’abord les deux équipes qui doivent s’installer aux abords du village chargées des contrôles routiers, puis presque une heure après Paul et Roxanne.
-Tu as l’air songeur, papa.
-Oui, peut-être un peu…
-Tout va bien ?
-En fait, je n’ai pas très bien dormi cette nuit; je me suis réveillé tôt… J’ai… j’ai comme un poing près des reins… Je n’ai rien dit à Juliette parce que je n’ai pas voulu l’inquiéter, mais je crois que je serai dû pour aller faire une visite au médecin.
-Et tu n’as pas très envie d’y aller…
-C’est à peu près ça.
Roxanne reste quelques instants silencieuse; puis elle se tourne vers son père au volant.
-Et comment ça va tes acouphènes ?
-Ah, tu m’en poses des questions !! Ça aussi, ça m’embête un peu… C’est toujours là; â ne m’empêche pas de travailler, mais jusqu’à ça va durer.

Cette fois-ci, Roxanne se contente de regarder la route qui défile.

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