lundi 19 février 2018

Cela se passait près d’un lac
Chapitre 18

                -Et où s’arrête-t-on en premier ?
                La pancarte verte aux lettres blanches annonçant la municipalité dans six kilomètres venait d’apparaître à un détour de chemin. Puis bientôt ce sera celle annonçant une baisse de la limite de vitesse de 90 km/h à 50 km/h et juste après celle blanche et noire annonçant que la nouvelle limite permise entrait en vigueur. Daniel Turgeon et Isabelle Dumesnil étaient déjà en poste, Paul ralentit mais sans s’arrêter; Roxanne fait un signe de la main accompagné d’un sourire à leurs deux vaillants collègues qui bravent la mauvaise température pour distribuer des contraventions. Ils sont en fait les renforts pour ce qu’elle et son père vont entreprendre, certes en retrait mais prêts à intervenir à la première alerte.
                -On s’en va chez le maire, monsieur André Rancourt.
                -Chez le maire ?... Un politicien local… Mais si jamais c’est sur lui qu’enquêtait Courtemanche ?... Tu ne crois pas…
                -C’est possible… J’y ai pensé figure-toi. Courtemanche en aurait bien été capable, c’est sûr, mais je ne crois que c’était le maire de Brébeuf. Simon-Pierre a été tué, comme on le suppose, pour avoir était trop curieux; je vois mal un maire de municipalité tuer un journaliste trop curieux. En bon politicien « respectueux des lois », il l’aurait menacé, ou il aurait essayé de l’amadouer; ou encore il l’aurait attaqué pour intrusion ou diffamation. Et vraiment dans le pire des cas, il aurait pu envoyer des hommes de mains pour le tabasser un peu. Mais il l’aurait tué ? Non, je en crois pas.
                -Oui, tu as raison.
                -Et puis même si c’était lui, ça ne vaut la peine d’aller lui dire un petit bonjour, histoire de voir comment il réagit ?... Je lui ai téléphoné hier soir et il nous attend à son bureau. On verra sur place.

                André Rancourt est un homme de la fin cinquantaine. Il avait entrepris, dans sa jeunesse, des études en droit qu’il n’avait pas terminées, alors il s’était recyclé dans la vente d’assurance. Il s’était établi premièrement à Saint-Jérôme, à la porte d’entrée de cette vaste région des Laurentides qui se développait à un rythme effarant. Il était bon vendeur et avec sa verve réjouie et son entregents naturel, il avait réussi à se faire une intéressante clientèle. Il avait ouvert un second bureau à Labelle, pour ensuite se mettre en semi-retraite. Il avait trouvé une ancienne maison à vendre à Brébeuf, l’une des rares de la région datant du 19e siècle encore en bon état et en avait fait sa résidence secondaire, puis, au fil des rénovations et de agrandissements, sa demeure principale. Il est maire de Brébeuf depuis six ans, et il n’est pas prêt à prendre sa retraite.
                C’est un homme jovial, bien mis, sans cravate, avec un léger embonpoint qui les a reçus d’une chaleureuse poignée de mains en les invitant à s’assoir dans son bureau visiblement tout fraîchement rénové et remeublé. Des photos de sa conjointe et des ses grands enfants trônent sur son bureau.
                -Ah, oui… j’en ai presque fini du métier de vendeur d’assurance ! Il me reste bien encore quelques vieux clients par-ci par-là, mais là, ça fait des années que j’en prends plus des nouveaux. J’en ai eu un peu ma claque. C’est exigeant comme travail ! On est toujours sur la route… Il faut être disponible le soir, la fin de semaine pour aller visiter les clients ! Et puis les problématiques ont bien changé. Les gens veulent de plus en plus avoir des produits personnalisés faits sur mesure, au moindre prix ! Non, non… J’ai fait ma part ! Et pis, mon trvail de maire, c’est presque un emploi à temps plein ! C’est à peu près temps qu’on mette Brébeuf sur la mappe. Depuis des années, des décennies, il n’y avait rien qui se faisait. Mon prédécesseur n’avait aucune envergure. Le moindre ramassage de la neige ou des ordures c’était toute une histoire ! Ça faisait pitié !  Avec moi, j’vous dit qu’ça change ! On a un vrai plan pour revitaliser le village, en commençant par attirer les touristes, surtout le tourisme d’hiver avec les motoneigistes ! On a ouvert un relais avec un auberge et tous les services sur la route de Mont-Laurier. Et l’été on veut finaliser la piste cyclable pour qu’elle rejoigne celle du P’tit train du Nord. Et puis on a de nouvelles entreprises qui viennent s’établir, les serres d’Edmond Picard, par exemple, ou la petite brasserie locale des jeunes qui a ouvert il y a deux étés. Ils ont présenté un beau projet et on leur a donné un coup d’pouce…et ça a l’air de marcher ! Leur bière s’appelle La Bière à cheval !  Ça, c’est vendeur. Je vous y ferai goûter tantôt si vous voulez !  
     -Oui, peut-être…
     -Enfin ! Tout ça pour dire que j’ai vendu mes parts de mes deux bureaux à mes associés et j’ai dit au revoir à mes employés, ça fait déjà sept ans, et je suis venu m’établir à la compagne avec ma conjointe, une infirmière praticienne. Elle a demandé son affectation à Sainte-Agathe et moi, comme j’ai dit j’ai gardé mes plus vieux clients… Elle aussi elle avait voulu démissionner, mais avec son expérience, elle a réussi à se négocier une entente qui la satisfait. Le Gouvernement actuel le pire de toute l’histoire du Québec. Tout est en crise : l’éducation, la voirie, les finances… Pis la santé ? C’est un vrai scandale ! Ça n’a aucun bon sens.  Heureusement que la CAQ s’en vient… Je vous l’annonce en primeur, je serai leur candidat aux prochaines élections dans 11 mois. Avec les élections à date fixe, il n’y aura pas de surprise ni d’entourloupette de la part du Premier ministre.
      -Comme je vous écoute, vous devez sans doute souvent avoir affaire avec les médias locaux ?
      -Mettez-en ! Pas une semaine ou presque qu’on entend pas parler de Brébeuf, en bien c’est sûr, dans La Vérité, l’hebdomadaire de la région de Québecor Médias.
               -Est-ce que vous connaissez le journaliste Simon-Pierre Courtemanche ? Regardez, on vous montre une photo de lui.
                André Rancourt plisse les yeux en regardant l’écran du téléphone cellulaire que Roxanne lui tend.
               -Non, je ne crois pas. Est-ce qu’il travaille pour La Vérité ?
               -Non, il est, en fait il était journaliste pour l’hebdomadaire de l’Outaouais Au Courant. Est-ce qu’il serait venu vous voir pour un reportage ou une entrevue mettons dans les six derniers mois ?
               -Non, je vous dis que je ne le connais pas. Est-ce qu’il y a un problème ?... Ah… mais oui, mais oui, mais oui… je comprends ! Maudit que j’suis lent ! C’est ce journaliste qu’on a retrouvé noyé dans un lac près de Saint-Michel.
    -Oui, c’est lui, en effet.
Le visage du maire de Brébeuf se fait plus sérieux; ses lèvres se crispent légèrement; inconsciemment il tambourine sur le dessus de son bureau.
     -Quel rapport que ça a avec moi ?
                -Et bien pour dire vrai, répond Paul en s’avançant légèrement sur son siège, il n’y a aucun rapport avec vous, mais l’enquête que nous menons sur sa mort nous indique qu’il serait venu ici, à Brébeuf, et même à plusieurs reprises; et il semblerait même qu’il aurait été à Brébeuf les jours précédant sa mort… Alors on essaye de retracer ses allées et venues dans le détail pour mieux comprendre ce qui a pu se passer.
                -En tout cas, moi je ne l’ai jamais vu ! J’dis pas que je sais tout ce qui se passe dans le village, mais il me semble que je l’aurais su ! J’suis toujours le maire, il me semble ! S’il est venu rôder ici… Vous savez dans une place comme Brébeuf, la moitié du village est aux fenêtres pour regarder ce que fait l’autre moitié. Alors peut-être des gens l’ont vu, mais qui ?... Voulez-vous qu’on fasse un appel aux témoignages.
                -Non, pas out de suite, c’est encore trop tôt. Je ne voudrais pas faire fuir, ceux qui auraient de raison de fuir. Et d’ailleurs, je vous demanderais de ne révéler à personne la teneur de notre conversation; il en va du déroulement de notre enquête et il en va aussi de votre propre sécurité.
                -Hmm…
      -J’insiste : pas un mot à personne… C’est compris ?
      -C’est compris.
                -Dans ce cas… on va vous quitter en vous remerciant…
                En se levant, Roxanne pose à son tour une question à André Rancourt.
                -Dites-moi, si quelqu’un s’arrête au village, mettons pour prendre un café ou pour se réchauffer, où est-ce qu’il va généralement ?
                -Le meilleur endroit c’est Chez matante; c’est juste ici sur la même la rue, de biais avec mon bureau, en s’en allant vers l’Est.
                -Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez accordé. Nous allons poursuivre nos recherches.
                -Ah, moi j’ai fait ça comme ça… J’espère… J’espère simplement que j’ai pu vous être utile…
                Paul se retourne vers le maire sur le palier :
                -Oui, bien sûr… Et beaucoup que vous ne le croyez.

                Puis il rejoint sa fille à la voiture.

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