lundi 2 novembre 2015

Les flammes de l’enfer

13

-Et quelles sont ces deux autres personnes qui méritent aussi qu’on leur fasse une petite visite?
-C’est sûr qu’il faut aller questionner et peut-être même sermonner un peu ce monsieur Sansregret; et il sera peut-être utile d’avoir la version des deux autres actionnaires du parc... L’autre c’est Simon Abel, le maire de Noyan. Ce Gustave Abel est né à Noyan, il pourra certainement fournir des informations importantes sur le personnage. Il a assez bien collaboré durant notre enquête là-bas en début d’été.
-Je veux aller avec toi voir Sansregret.
-D’accord… Mais là, je pense qu’on en a assez pour aujourd’hui. La journée a été somme toute fructueuse. Merci Olivier, je te libère.
-De rien, patron. À demain.
Une fois seuls, Roxanne se tourne vers son père :
-Tu n’as pas l’air pressé de partir ?
-Non… En fait, j’ai ce foutu rapport sur le stage d’Oliver à terminer; il faut que j’envoie ça à Nicolet avant la semaine prochaine.
-Pourtant, il vient de donner bien du matériel des choses à raconter dans ton rapport.
-Oui, c’est bien ça le problème; c’est plus simple quand ce n’est pas compliqué : on écrit que tout s’est bien passé et c’est tout. Mais là, avec ce qu’il a fait ces derniers jours, il va falloir que je fasse un vrai rapport étoffé et tout.
-Depuis tout ce temps, tu ne t’es jamais habitué à la paperasserie !
-Ça a l’air que non. Allez, va-t-en toi aussi. On se revoit demain.
-D’accord, je file.
Roxanne fait la bise à son père et s’échappe. Paul reste quelques instants à regarder la porte.
-Sacrée petite bonne femme ! C’est elle qui pourrait faire des rapports sur moi. Elle me mettra à la retraite d’ici peu que ça ne m’étonnerait même pas…

Le lendemain, Paul et sa fille se retrouvent dans le stationnement du poste de la SQ de Papineauville.
-Je ne suis pas retourné à Noyan depuis cette histoire de crime du dimanche des Rameaux; ça va faire un peu drôle... Quand je pense que finalement c’était un stupide accident qui mal tourné et qui aurait pu être évité, et dans lequel ce pauvre pasteur est mort.
-Oui, une bête histoire de malentendu, de rivalité, d’envie, de jalousie morbide et de suffisance stupide. Ça a mis la communauté tout à l’envers.
-Ça semble s’être calmé... Je me demande si la communauté a reçu son nouveau pasteur.
-Ça m’étonnerait, ce genre de choses prennent du temps il me semble.
-Surtout que les volontaires ne doivent pas se bousculer au portillon, dans une paroisse où le pasteur s’est fait trucider. Bon, allons-y. Je te retrouve à Notre-Dame-de-la-Croix quand j’ai fini pour aller faire notre visite à Sansregret.
-Oui, ça me va.

Paul s’engouffre dans sa voiture et roule vers Noyan. L’automne s’en vient; il me semble que chaque jour les arbres prennent toujours plus de couleurs, et avec les nuits qui sont quand même fraîches, ça va changer vite.
Paul doit ralentir quand il aperçoit les feux clignotants : c’est un véhicule d’urgence qui suit une énorme remorque transportant une rétroclaveuse et qui prévient les automobilistes du déplacement de ce lourd convoi.
 -Qu’est-ce que c’est qu’ça ? lance-t-il par la fenêtre.
-C’est de la machinerie qui doit venir de Gatineau, répond l’autre chauffeur, et qui se rend au chantier de la route de Lac-des-Sables. On est en train d’y refaire la route.
-Mais elle n’a pas déjà été refaite cette route ? On évite complétement le village maintenant !
-Oui, mais ça, ça date de plus de trente ans. Vous pensez pas, ricane l’homme, qu’à cet âge-là on ait besoin de lui refaire une beauté ?
-Ouais, sans doute…
À l’entrée de Noyan, Paul ralentit par pure habitude : rouler lentement dans une agglomération permet de mieux se faire voir et de mieux observer les alentours. Il s’arrête devant les bureaux de la municipalité. Paul sort de sa voiture et pénètre dans le bâtiment.
Une jeune fille très et même trop maquillée est assise au bureau de la réception. Sans doute la remplaçante de… comment s’appelait-elle encore ? Ah oui, Nancy Fournier, l’ancienne secrétaire de la municipalité, une femme de grande qualité. Après l’enquête, écœurée, elle a tout quitté; elle a vendu sa maison et a quitté le village. On n’est pas près de la revoir. Je me demande où elle est rendue ? Peut-être que Roxanne le sait; il y avait eu une spontanément une certaine complicité entre les deux, peut-être même un peu trop…
-Vous êtes sans doute l’inspecteur Quesnel ?
-Oui, j’ai rendez-vous avec le maire Abel.
-Oui, il vous attend. Je vais vous montrer. C’est cette porte-là à gauche.
-Bonjour inspecteur !
-Bonjour monsieur Abel. Si je viens vous voir aujourd’hui…
-Je crois savoir, c’est au sujet de mon neveu Gustave.
-Oui, c’est ça, bien deviné, mais je ne savais pas que c’était votre neveu.
-Oh, je n’ai pas deviné… Mais entrez donc dans mon bureau. Voulez-vous une tasse de café ?
-Non merci, ça va; j’essaye d’en boire moins.

Roxanne arrête la voiture devant la petite maison bien peinte de madame Cournoyer. Comme il fait jour, elle voit les boites et les meubles qui traînent dans la cour dans le même désordre que lorsqu’elle est venue avant-hier annoncée à cette pauvre femme la mort de son fils. Le grand garage est fermé, la moto rentrée. Elle cogne.
-Madame Cournoyer ?...
Pas de réponse, mais Roxanne entend un léger mouvement à l’intérieur.
-Madame Cournoyer ? Je suis l’officier de police Roxanne Quesnel… de la Sureté du Québec. C’est moi qui suis venue vous voir il y a deux jours. Je suis venue aujourd’hui parce que je dois vous parler sur la mort de votre fils Gustave.
-J’ai rien à dire.
-J’ai quelques questions à vous poser.
-Je sais pas ce que vous voulez
La porte reste fermée. Roxanne doit se pencher légèrement pour parler à son interlocutrice à travers la porte.
-Madame Cournoyer, il se peut que l’incendie dans lequel votre fils a perdu la vie ne soit pas accidentel.
-…
-Madame Cournoyer ?
-Qu’est-ce que ça change ? Ça change rien pour moi.
-Madame Cournoyer, j’ai des questions à vous poser et c’est important. Ne m’obligez pas à demander un mandat et à vous forcer à vernir au poste pour répondre à nos questions. Si tout va bien, je ne viendrais plus vous embêter... Ça va prendre juste quelques minutes.
-J’veux pas.
-Madame Cournoyer, moi non plus ça ne me tente pas, mais je suis obligée. Si vous ne voulez pas que je rentre chez vous, sortez deux chaises et on va s’assoir sur la galerie.
Au bout de quelques instants, elle entend le bruit de meubles qu’on déplace. La porte s’ouvre et une femme toute ébouriffée en jaquette en pantoufles, sort trainant une chaise.
-OK, madame Cournoyer, on va s’assoir sur la galerie.
En prenant la chaise, Roxanne jette un regard vers le petit intérieur plus ou moins entretenu, une table, un vieux fauteuil, un téléviseur allumé. La femme attrape une autre chaise et vient s’installer à côté de Roxanne.
-Parlez-moi de votre fils madame Cournoyer.
-Qu’est-ce vous voulez savoir sur Ti-Gus ? J’vous ai tout dit la dernière fois.
-C’était un bon garçon je suppose ?
-C’était un garçon ni bon ni moins bon que les autres.
-Est-ce que vous avez toujours habité à Notre-Dame
Pas de réponse.
-Je sais que Gustave est né à Noyan… Je suppose qu’ils n’ont pas été fins avec vous à Noyan?
-C’était des malfrats ! Toutes ! C’était toutes de malfrats. Y’en avait juste un de bon, c’était le pasteur Doyon.
-Pourquoi vous dites ça ?
-Parce que c’est comme ça…
-Il était fin avec vous pis Ti-Gus c’est ça ?
-Oui, c’est ça.
-Il s’est occupé de Ti-Gus quand son père est parti ?
-Non, après... Au début, y’était bébé; ma belle-mère venait m’aider. Mais après ça, quand elle est morte, il avait six ans, le pasteur Doyon et sa femme ont bien pris soin de lui.
On y arrive.
-Il pouvait pas aller à l’école parce qu’il était pas capable de suivre. Alors sa femme lui a appris à lire et à compter; elle lui donnait des biscuits faits maison pis il m’en rapportait. Pis le pasteur Doyon lui a montré comment réparer les choses, avec le marteau, les tournevis; Ti-Gus est devenu très bon. Pis il lui a fait faire son catéchisme; Ti-Gus a fait sa confirmation avec les autres… Le pasteur Doyon savait le contrôler. Pis il y a cette histoire de feux.

-Une histoire de feux, madame Cournoyer ? Parlez-moi s’en donc…

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