Les petits enfants
Chapitre 11
Toujours au bord de l’excavation où ont été trouvés
les restes humains, un peu perdue dans ses pensées, Roxanne constate en se
retournant que messieurs Valiquette et Binet n’ont pas traîné. Déjà, quelques
ouvriers arrivent et commencent avec force vociférations et gesticulations à
éloigner les curieux, curieux qui voudraient bien rester, mais qui ne font pas
le poids. Elle se dirige vers Turgeon et Manuel et leur demande de
graduellement enlever le cordon de sécurités au fur et à mesure que les gens
auront quitté les lieux. Le chantier pourra reprendre comme prévu cet
après-midi.
-Quand ce sera fini, ce sera proche de l’heure du
midi; vous pourrez aller manger. Avant de retourner au poste, vous n’aurez qu’à
demander si on a une nouvelle affectation pour vous. Pour ce qui est d’ici, je
veux parler de la surveillance des lieux, c’est fini pour nous. Il n’y a plus
rien d’autre à faire.
-Et toi tu restes ?
-Je vais aller rejoindre Isabelle, qui fait un
travail d’archéologue dans les bureaux de la municipalité.
Elle revient ensuite à sa voiture. Elle décide de
faire un long détour pour se rendre aux bureaux de la municipalité, et se
dirige vers la sortie de Lac-des-Sables, pour emprunter l’ancienne route, celle
qui passe au cœur du village. Exprès, elle roule lentement pour une bonne
reconnaissance des lieux. De l’embranchement de l’ancienne et de la nouvelle route,
on n’aperçoit qu’un tout petit triangle bleu du lac. Tous les gens qui passent sur la route n’ont aucune idée du charme des
lieux. Quelques maisons très simple se dressent dans les bosquets de
gauche; à droite de la route la pente est trop escarpée et les maisons plus
rares. Plusieurs petits chemins de terre se découvrent entrent les arbres, la
plupart fermés par une chaîne ou une barrière. Tous des chemins qui mènent à des chalets ou des résidences sur le bord
du lac. Bientôt se font plus nombreuses les maisons (et plus récentes),
surtout du côté gauche, et des établissements commerciaux apparaissent :
un dépanneur, un garage, un premier motel, puis un deuxième, un club vidéo,
deux ou trois restaurants avec terrasses bondées, le bureau de poste… c’est le cœur
du village. Roxanne dépasse les bureaux municipaux à sa droite. Elle roule
encore en peu et une centaine de mètres plus loin, elle voit l’annonce de la
plage municipale; à droite de la route, le stationnement, rempli de voitures,
avec toute une série de directives et d’interdits, à gauche le petit sentier
qui mène au lac. Les gens se retournent et la regarde passer; quelqu’un lui
crie quelque chose qu’elle ne comprend pas. Elle s’arrête et descend. Appuyée
sur la portière elle peut enfin voir, et ce pour la première fois se rend-elle
compte, ce magnifique Lac-aux-Sables. Elle se dit qu’effectivement le lac est
magnifique avec ses eaux azurées dans lesquelles se mirent paisiblement les
montagnes verdoyantes de sa rive ouest. En
automne, avec les couleurs, ce doit être extraordinaire. Comment ça se fait que
je ne suis jamais venue ici ?
Elle n’est à Papineauville que depuis quatre ans et
elle n’a certes pas encore fini de découvrir tous les secrets de la région. Ce
vrai qu’il n’a pas eu souvent l’occasion de passer par ici en quatre; elle est à
l’extrême limite de la juridiction du poste de son père. Je me demande bien ce qu’il lui a pris à celui-là : me confier une
enquête à moi toute seule ! Il a le droit, c’est sûr; certaines enquêtes qui ne
nécessitent pas trop d’effectifs sont parfois confiées à un seul enquêteur.
Mais bon, probablement qu’il aime bien ce que je fais. Au moins, je sais que je
n’ai pas à chercher à l’impressionner… mais ce serait bien quand même si j’arrivais
à résoudre le secret de ce mystérieux squelette.
Elle
sort de sa méditation et retourne à l’hôtel-de-ville; elle trouve là, dans une
des salles, sa collègue Isabelle et Claude Parisien, ainsi que la secrétaire
Martine Beausoleil, complétement cachés derrière un amoncellement de boites, de
filières, de paperasses. Quel fouillis !
-Bonjour, Isabelle. Bonjour monsieur Parisien. Alors
est-ce que ça avance ?
-Ah, te voilà, Roxanne ! Oui, disons, que ce n’était
pas facile, mais grâce à la « collaboration » de monsieur Parisien,
et aussi celle de Martine Beausoleil, nous avançons un peu.
Roxanne
salue la secrétaire : « Bonjour. Merci de nous donner un coup de
main. »
-Oh,
ça va. On découvre des choses intéressantes.
Isabelle
reprend : « Nous avons tous les procès-verbaux pour 1978, toutes les
offres de service, la liste des conseillers, la liste des habitants… pas mal de
choses sur les commerces.
-Il
fait dire que 1978 était une année d’élections municipales, ça aide grandement
!
-Pour le reste il faudra aller à l’école, ou à la
commission scolaire, les différents établissements commerciaux comme les hôtels
et les magasins. Il y a sûrement des archives là aussi.
-Si vous me disiez ce que vous cherchez, ça pourrait
aller plus vite; je ne sais pas si le maire, Jean-Guy Sauvageau, accepterait un
tel envahissement dans ses bureaux.
-Monsieur Parisien, vous pouvez toujours lui
téléphoner en Alaska, ou alors je peux même aller chercher un mandat, si vous
voulez !
-Montez pas sur vos grands chevaux; mais il faudra
bien dire quelque chose à la population. Qu’est-ce que vous avez trouvé dans le trou du chantier ?
-On a trouvé un squelette…
-Un squelette ? Un squelette mort !?
-Ben, en général, si c’est un squelette, c’est qu’il
est mort.
-Un homme ou une femme ?
-On le se sait pas encore.
-Comment il était ?
-Je ne comprends pas ?
-Est-ce qu’il était complet ? Est-ce qu’il manquait
des parties ?
-Non, non, il était complet…
-Est-ce… est-ce qu’il avait les pieds dans le ciment
?
-Je vois où vous voulez en venir…
-Vous savez à cette époque, c’était pas rose sur le
chantiers; c’était pas des enfants de chœur.
-Non, il n’avait pas les pieds dans le ciment, si c’est
ce quoi nous pensez… Bon, voulez-vous prendre une pause pour le dîner ?
Martine Beausoleil intervient : « On a
presque fini, il nous reste que ces deux filières à fouiller; on pourrait
terminer et arrêter après, non ?
-Avez-vous trouver des photos ?
-Quelques-unes, mais pas beaucoup.
-On la photo du conseil de ville. Des photos du maire
de l’époque participant à diverses activités. Des photos de la campagne électorale.
-Je ne crois pas qu’on a trouvera beaucoup plus; ce
n’est pas le genre de documents que nous conservons dans les archives.
-C’est dommage.
-Je pense que j’ai une idée : vous pourriez
aller rendre visite à Juliette Sabourin, la bibliothécaire.
-Elle aurait des photos de cette époque ?
-En fait, je ne sais pas exactement, mais je sais
qu’elle ramasse tous les livres qu’elle peut, tout ce qu’on lui donne. Par exemple
quand un couple doit quitter sa maison pour aller vivre en résidence ou à la
mort d’une personne âgée, le plus souvent les enfants vident la maison et ne
gardent rien. Alors, en plus des livres pour sa bibliothèque, on lui apporte aussi
de pleines boites de souvenirs de familles. Peut-être qu’elle aurait trouvé
là-dedans des photos d’époque et peut-être des photos qui pourraient vous
intéresser.
-Pourquoi vous dites "sa" bibliothèque; c’est
chez elle ?
-Non, non, c’est dans l’ancien presbytère. Mais c’est
son projet à elle et elle y consacre toutes ses énergies, c’est un peu comme
son bébé.
-Où est-ce qu’elle se trouve la bibliothèque ?
-Comme j’ai dit elle est installée dans l’ancien presbytère;
c’est à quelques pas d’ici. Vous êtes sûrement passée devant en venant ici.
Mais c’est fermé aujourd’hui, c’est ouvert trois avant-midis par semaine, mardi,
mercredi et vendredi. Demain vous pourrez la voir, si vous voulez.
-Bon, je vous laisse terminer. Isabelle, je t’attends
pour aller manger ensemble. On va pouvoir se parler.
-Oui, ça me va.
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