Meurtre à la mosquée
Chapitre 10
Roxanne retraverse les couloirs
jusqu’à l’escalier qui mène au balcon. Paul la suit. Ils montent. Paul découvre
à son tour ce désordre de chaises, de boites, de sacs qui traînent pêle-mêle.
-Regarde comme c’est
particulier. La balustrade est ainsi faite que d’ici on ne peut pas voir la
salle de prière en bas; on ne peut voir que la chair sur laquelle se tient le
prédicateur. Il faut vraiment se pencher au-dessus de la barrière pour voir
quelque chose de ce qui se déroule en bas. Et si on fait ça, il est inévitable
qu’on se fera remarquer par ceux d’en bas.
-C’est vrai… Et tu en conclus ?
-J’en conclus que probablement
que c’est construit ainsi pour « empêcher » les femmes de regarder
les autres hommes qui ne sont pas leurs maris; de même que cela « empêcherait »
les hommes de se faire « distraire » par les femmes durant la prière…
Mais pour l’enquête, j’en conclus que s’il s’est passé quelque chose, mettons
que quelqu’un ait suivi Mawami alors qu’il sortait pour aller dans son bureau
on ne pouvait le voir d’ici !
-Donc les femmes qui se
trouvaient ici vendredi ne peuvent être considérer comme témoins ?
-Probablement.
-Oui, c’est une petite pièce du
casse-tête… Allons-y, je ne vois pas ce que nous pourrions trouver d’autre ici.
Ils redescendent et ferment les
lumières de la mosquée. En sortant, Paul reprend à brûle-pourpoint, ses pensées
d’avant la visite à la mosquée.
-Oui, je vieillis, je veillis…
Je me sens plus fatigué qu’avant. Ça ne sert à rien de ne pas me l’avouer; c’est
là et c’est bien là. Ça ne changera pas. Et des fois, j’ai l’impression que ce
n’est pas juste mon corps qui vieillit, ça je crois que je peux le supporter
assez bien, mais il y a ma tête aussi….
Roxanne ne sait trop quoi
répondre; elle reste en attente de la suite.
-On me fera une belle réception,
ce sera une belle fête et ce sera fini. Sans doute que je partirai en voyage
avec Juliette.
-Tu veux… tu veux prendre ta
retraite !?...
Paul porte sur sa fille un
regard flou.
-La retraite ? Ah ! Je ne sais
plus ce que je dis… Au lieu de prendre
ma retraite, peut-être devrais-je faire
une retraite, de quelques jours, dans un monastère par exemple. Peut-être que
ça me fera du bien. Bon, on retourne au poste et on rentre à la maison. Comment
ça va avec Fabio ?
-Ça va… On a trouvé un modus vivendi qui convient… pour l’instant.
On devrait être capable de se trouver du temps durant la période des fêtes. Il
viendra sûrement venir quelques jours à Papineauville. Je pourrais lui
présenter Juliette.
-Oui, ce sera bien.
-Je t’ai dit que l’ai présenté à
maman ?
-À ta mère ? Non. Alors ?
-Alors, pas grand-chose; ça s’est
bien passé. Elle va mieux tu sais. Je pense que sa série de dépression est
derrière elle.
-Bien tant mieux.
Le lendemain, un dimanche, Paul
ne devait normalement pas venir au poste de la SQ. Lui et Juliette s’étaient
levés vers 9hrs (la grasse matinée !) et avaient tranquillement pris leurs
cafés lattés avec des bonnes tranches de pain maison. Paul était en train de
résumé à grands traits à sa chérie cette histoire d’un meurtre à la mosquée,
quand un appel de Jocelyne, la réceptionniste, a retenti.
-Patron, je sais que je vous
dérange, mais vous feriez mieux de venir au poste : la situation devient
incontrôlable !
-Qu’est-ce qui se passe ?
-On est envahis d’appels au
sujet d’un corps à ensevelir le plus vite possible, et ça commence à gêner nos
propres communications. Je ne sais pas quoi faire !
-Bon, je me prépare et j’arrive.
Paul raccroche et regarde
Juliette d’un air un contrit.
-Je suis désolé… Je dois aller
régler une crise au poste. Toi qui te faisais une joie de…
-Ah, n’en mets pas trop; ce n’est
pas grave. « Le devoir t’appelle » comme on dit. Va mon preux
chevalier ! Va défendre la veuve et l’orphelin !
-Ne te moque pas de moi ! C’est
bien parce que je suis obligé.
-Ce n’est pas grave, je te dis.
De toute façon, je vais retourner chez moi à Lac-aux-Sables; il faut quand même
que je retrouve mes affaires de temps en temps et que je fasse rouler la
bibliothèque. Tu me donneras des nouvelles.
Arrivé au poste, Paul sent
effectivement une agitation inhabituelle. Il va droit à Jocelyne au poste de
réception assistée d’Ophélie, qui s’est jointe à l’équipe il y a peu.
-Alors, quelle sont les
nouvelles ?
-Regardez toutes ces lumières
qui clignotent, patron ! Ce sont des gens, toujours les mêmes, qui n’arrêtent
pas de téléphoner pour réclamer le corps de la victime du crime à la mosquée
sous prétexte qu’il faut l’ensevelir le plus vite possible. On reçoit au moins
cent appels et plus à l’heure. Dès qu’on raccroche, la personne retéléphone et
exprime la même demande… même, disons, la même exigence. Ça n’a pas de fin. C’est
sûr que c’est organisé; ça ne peut pas être autrement. Non seulement je ne sais
pas comment arrêter ça, mais ça nuit à nos possibilités de recevoir d’autres
appels, les vrais, et ça nuit à nos moyens de communiquer… entre nous !
-Oui… oui… Bon, je crois savoir
qui contacter pour arrêter ça; je vais dans mon bureau.
Au moment où Paul veut se
diriger vers l’intérieur du poste pour se rendre à son bureau, une jeune fille,
qui le guettait depuis son arrivée, l’accoste.
-Inspecteur ! Inspecteur ! Il
faut que je vous parle absolument ! Et tout-de-suite !
Paul se retourne
-Je suis désolé; je ne peux pas
vous recevoir immédiatement : il y a une urgence dont je dois m’occuper.
-Moi aussi, c’est urgent. Je
suis venue ici en cachette de ma famille. Je suis la fille de Amir Mawami. Il
faut que je vous parle.
Paul la regarde, étonné et
perplexe.
-OK; venez avec moi.
Paul fait entrer la jeune à l’intérieur
du poste et la mène jusqu’à une petite pièce qui sert généralement de salle d’attente
pour certains invités ou de salle de repos pour le personnel. Il l’invite à s’assoir.
-Je vous écoute.
-Je m’appelle Asma. J’étais là quand vous êtes venu à
la maison, avec d’autres policiers et Nawaz Zardai pour annoncer à ma mère que
son mari avait été victime d’un crime. Vous ne m’avez pas remarquée, j’étais
dans le couloir mais je vous ai vu de loin. Il faut que je vous dise que mon père
n’était pas un homme facile; il était très autoritaire et il avait des
principes. On lui obéissait, on n’avait pas le choix. Il était très strict sur
l’observation des règles religieuses. On doit aller à la mosquée chaque semaine,
respecter le ramadan, faire l’aumône. Et mon frère ainé, Hamza, est comme lui, très
religieux; mon père était un bon musulman qui nous a élevés en bons musulmans. Il
y a aussi un deuxième fils, Kamala, qui a des problèmes… mais qui fait de son
mieux; il essaye vraiment de s’en sortir. Il a eu des problèmes à l’école à
cause du français, chez nous on parle ourdou et l’anglais, mais il s’en sort mieux
depuis quelques temps; il fait beaucoup d’efforts. Mais mon père ne l’a jamais
aidé; il l’a laissé tomber. Ma mère a toujours essayé de le protéger contre mon
père. Plusieurs fois, il l’a chassé de la maison. Ça fait trois semaines qu’on
ne l’a pas vu. Avec mon autre sœur non plus, Mariyam, ça n’allait pas bien.
Elle l’a souvent provoqué, mon père je veux dire. Même si elle savait aussi
qu’on doit respect à son père et mère, c’est une rebelle; moi je suis la plus
jeune; j’essaye de rester le plus invisible possible…
Paul regarde la jeune fille qui reste les yeux
baissés. Elle doit avoir quinze ou seize ans.
-Monsieur, j’ai une déclaration à faire.
-Je ne peux interroger les enfants mineurs dans une
enquête officielle de police sans l’autorisation des parents ou de ceux qui les
remplacent légalement.
-Mon père était un vrai tyran... Il battait sa femme…
et terrorisait ses enfants. Il était très traditionnel. Il fallait suivre à la
lettre les principes de l’Islam. Il voulait que je porte le voile même à
l’école et moi je refusais, tout comme ma sœur. On le mettait en sortant de la
maison, mais à un coin de rue de l’école on l’enlevait. Ça le rendait fou de
rage. Il nous battait. Il battait sa femme, jusqu’à lui briser des membres. Des
fois on mettait un peu de maquillage, en cachette; ça aussi, ça le mettait en
furie. Il fallait toujours qu’on lui obéisse, dans la façon de s’habiller, de
parler, de se comporter. Pour sortir, il fallait le faire en cachette. Et
surtout, jamais chez des non-musulmans. Heureusement que parfois sont travail l’emmène
à l’extérieur, mais dans ce cas, c’est notre frère Hamza qui jouait le rôle de
père et il était aussi sévère que lui… Mon père, c’était un méchant homme. Et
avare aussi. Il ne nous donnait jamais d’argent; il fallait toujours rogner sur
tout : sur la nourriture, sur les vêtements… tous nos vêtements viennent
du Pakistan à travers son magasin… C’était dur pour nous les filles. Je n’ai
jamais rien eu à moi... Je dois partir maintenant. Je suis venue en cachette,
sans que mon frère ne me voit.
-Merci Asma. Je te raccompagne jusqu’à la porte.
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