Meurtre à la mosquée
Chapitre 11
Au moment où Paul ouvre la porte
à Asma, la fille de Amir Mawami, pour la faire sortir, il lui vient une idée :
« Dis-moi, Asma, est-ce que
tu étais là, à la mosquée, vendredi dernier, le soir où ton père a été tué ?
-Moi, bien sûr ! Notre participation
à la prière du vendredi n’est pas une option ! Le seul dans notre famille qui n’y
va pas, c’est mon frère Kamala… mais il est, comme dire, en rupture avec la
famille.
-Et ce soir-là tu n’aurais rien
remarqué de particulier… d’inhabituel ?
-Non, tout s’est déroulé comme d’habitude;
l’imam était ennuyant comme d’habitude, et les femmes jacassaient comme d’habitude.
-Qu’est-ce que tu veux dire ?
-Ben… les femmes en haut, elles
écoutent, comme dire… d’une oreille distraite ce qui se passe dans la salle et
comme pour plusieurs d’entre elles, c’est la grande sortie de la semaine, elles
en profitent plus pour échanger des nouvelles, sur les enfants, sur leurs maris,
sur les recettes de cuisine… Elles échangent des nouvelles de leurs pays d’origine.
-Et toi, tu participes à ces
conversations ?
-Pas question ! J’ai mon
téléphone cellulaire avec moi et je texte avec mes amies, musulmanes et
non-musulmanes… Mon père ne sait pas… ne savait pas que j’ai un cell, ni mon
frère; si mon père l’avait su, oui, ça aurait fait toute une
histoire. Maintenant, il faut aboslument que je parte; il ne faut pas que
mon frère s’aperçoive de mon absence…
-Oui; merci beaucoup, Asma; s’il
y a quoi que ce soit d’autre, reviens me voir.
Paul refait le chemin inverse
jusqu’à son bureau. En repassant dans le hall d’entrée, il croise le regard
désespéré mi-ironique, mi-comique de Jocelyne et il ne peut s’empêcher de
sourire. Il sait ce qu’il va faire.
Dans son bureau, il prend son
téléphone.
-Hamza Mawami ?... Ici le
directeur de la Sureté du Québec Paul Quesnel; nous nous sommes vus avant-hier
après le décès de votre père…
-…
-Oui, c’est ça.
-…
-Non, pour l’instant, il n’y a
pas de nouveau dans le déroulement de l’enquête; nous en sommes encore à la
récolte d’indices.
-…
-Non, non…
-…
-Non, je ne peux rien vous dire.
-…
-Non, en fait, je voulais vous parler d’un problème
plus urgent. Il semble y avoir eu une sorte de mot d’ordre dans la communauté
musulmane d’inonder les différents circuits téléphoniques du poste de la Sureté
du Québec…
-…
-Vous n’êtes pas au courant ?...
C’est possible, mais comme ces appels répétitifs et incessants portent tous sur
le cas de voter père et de l’urgence de faire une inhumation le plus rapidement
possible, je voudrais faire un marché avec vous.
-…
-Oui, un marché. C’est une
situation qui paralyse en partie nos circuits de communication et qui pourrait
faire obstacle à un appel d’urgence. Nous avons en mémoire tous les appels
entrants depuis ce matin et je ne veux arriver au point où je devrais signer
des mandats d’arrêt pour entrave au travail de la police à ceux qui nous
téléphonent comme ça sans arrêter.
-…
-Vous comprenez. Bien. De plus,
vous savez bien qu’il est absolument essentiel et obligatoire de faire une
autopsie sur les corps de votre père; la loi m’y oblige, je ne peux pas faire
autrement. D’ailleurs, laissez-moi ajouter que cette autopsie sera une pièce
majeure dans l’enquête et nous aidera grandement à résoudre le mystère de sa
mort. Alors voilà le marché que je vous propose. Je vais demander que cette
autopsie soit pratiquée dès la première heure demain matin, et tout-de-suite
après vous pourrez récupérer le corps de votre père. Et, en plus, si vous le
désirez, je vous faciliterai le plus possible cette tâche d’ensevelir votre
père. Je mettrais mes agents à votre disposition, si vous voulez.
-…
-Vous ne savez pas quoi répondre
? Et bien voilà mon conseil : je vous conseille de téléphoner à votre
imam, l’imam Muramam, et lui répéter ce que je viens de vous dire. Et vous lui
direz en même temps que si les appels continuent au poste de la Sureté du
Québec, il est possible que les médecins-légistes déclenchent une grève du zèle
dès demain matin ce qui aurait pour conséquence que le corps de votre père
pourrait rester au frigo encore trois semaines ou un mois. Est-ce que c’est clair
comme ça ?
-…
-Bon, je vois que nous nous
sommes bien compris. J’espère que nous aurons encore l’occasion de collaborer
de cette façon.
-…
-Oui, c’est ça.
-…
-Oui, si vous voulez, vous
pourrez me rappeler plus tard. Au revoir.
Paul raccroche le téléphone
fermement. Bon, voilà une bonne affaire de faite. Allons rassurer Jocelyne et
les autres.
Effectivement, le lendemain Paul
obtenait que l’autopsie du corps d’Amir Mawami soit faite en priorité. Le corps
était ensuite rendu à la famille pour l’enterrement.
L’ensevelissement a eu lieu dès
l’après-midi de ce lundi, à Turso dans un petit reculé du cimetière de l’église
unie. C’est avec les responsables de cette église que les dirigeants de la
mosquée Badshahi avaient conclu un accord tout juste l’année dernière lorsque l’un
des membres âgés de la communauté était tombé malade et était mort subitement;
ils avaient cogné à plusieurs portes pour finalement obtenir une réponse
positive de l’église unie. Ironiquement, Amir Mawami en tant que le
gestionnaire de la mosquée et du centre culturel, avait été le principal négociateur;
c’était la deuxième personne à être ensevelie dans le cimetière de la communauté
musulmane.
Paul et Roxanne étaient venus et père et fille observaient
la scène de loin. Ils ont précédé et suivi le cortège en voiture de
Papineauville pour aider aux déplacements comme l’avait dit Paul. Le cimetière
n’était pas adjacent à l’église, mais plus éloigné à l’extérieur du village, presqu’à
la lisière de la forêt. Quand la foule d’une cinquantaine de personnes était
entrée dans le cimetière à la suite de l’imam et du groupe d’hommes qui
portaient le cercueil, ils étaient restés près de la porte. Ils voyaient la petite
troupe évoluer dans les allées, entre les grands arbres centenaires, jusqu’au
fond du cimetière là où il y avait une fosse déjà creusée. Puis l’imam a
commencé ces exhortations.
-Je ne savais même pas qu’il y avait
de cimetière ni même de petite église protestante ici, à Turso, dit Roxanne
tout haut.
-Oui, elle fonctionne à temps
partiel, je crois, depuis plusieurs années. Mais elle est ici depuis presque
les débuts du village.
-Je suppose que c’était l’église
des patrons anglophones de l’usine d’allumettes… Et c’est ici que les musulmans
ont trouvé un petit coin pour enterrer leurs morts.
-Si je me fie au nombre de
personne que semble compter la communauté, ça va leur prendre de la place;
surtout qu’il semble qu’ils soient contre l’incinération. Bon, je ne crois pas
que nous en apprendrons beaucoup ici. J’y vais. J’ai beaucoup de choses à faire
aujourd’hui; et puis… il faut que je prenne ce satané rendez-vous.
-En ce moment tu entends quelque
chose ?
-Mais oui, toujours dans l’oreille
gauche
-Bon; vas-y, moi je vais quand
même rester jusqu’à la fin. On ne sait jamais.
-À plus tard.
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