lundi 16 janvier 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 11

                Au moment où Paul ouvre la porte à Asma, la fille de Amir Mawami, pour la faire sortir, il lui vient une idée :
                « Dis-moi, Asma, est-ce que tu étais là, à la mosquée, vendredi dernier, le soir où ton père a été tué ?
                -Moi, bien sûr ! Notre participation à la prière du vendredi n’est pas une option ! Le seul dans notre famille qui n’y va pas, c’est mon frère Kamala… mais il est, comme dire, en rupture avec la famille.
                -Et ce soir-là tu n’aurais rien remarqué de particulier… d’inhabituel ?
                -Non, tout s’est déroulé comme d’habitude; l’imam était ennuyant comme d’habitude, et les femmes jacassaient comme d’habitude.
                -Qu’est-ce que tu veux dire ?
                -Ben… les femmes en haut, elles écoutent, comme dire… d’une oreille distraite ce qui se passe dans la salle et comme pour plusieurs d’entre elles, c’est la grande sortie de la semaine, elles en profitent plus pour échanger des nouvelles, sur les enfants, sur leurs maris, sur les recettes de cuisine… Elles échangent des nouvelles de leurs pays d’origine.
                -Et toi, tu participes à ces conversations ?
                -Pas question ! J’ai mon téléphone cellulaire avec moi et je texte avec mes amies, musulmanes et non-musulmanes… Mon père ne sait pas… ne savait pas que j’ai un cell, ni mon frère; si mon père l’avait su, oui, ça aurait fait toute une histoire. Maintenant, il faut aboslument que je parte; il ne faut pas que mon frère s’aperçoive de mon absence…
                -Oui; merci beaucoup, Asma; s’il y a quoi que ce soit d’autre, reviens me voir.

                Paul refait le chemin inverse jusqu’à son bureau. En repassant dans le hall d’entrée, il croise le regard désespéré mi-ironique, mi-comique de Jocelyne et il ne peut s’empêcher de sourire. Il sait ce qu’il va faire.
                Dans son bureau, il prend son téléphone.
                -Hamza Mawami ?... Ici le directeur de la Sureté du Québec Paul Quesnel; nous nous sommes vus avant-hier après le décès de votre père…
-…
                -Oui, c’est ça.
                -…
                -Non, pour l’instant, il n’y a pas de nouveau dans le déroulement de l’enquête; nous en sommes encore à la récolte d’indices.
                -…
                -Non, non…
                -…
                -Non, je ne peux rien vous dire.
-…
-Non, en fait, je voulais vous parler d’un problème plus urgent. Il semble y avoir eu une sorte de mot d’ordre dans la communauté musulmane d’inonder les différents circuits téléphoniques du poste de la Sureté du Québec…
                -…
                -Vous n’êtes pas au courant ?... C’est possible, mais comme ces appels répétitifs et incessants portent tous sur le cas de voter père et de l’urgence de faire une inhumation le plus rapidement possible, je voudrais faire un marché avec vous.
                -…
                -Oui, un marché. C’est une situation qui paralyse en partie nos circuits de communication et qui pourrait faire obstacle à un appel d’urgence. Nous avons en mémoire tous les appels entrants depuis ce matin et je ne veux arriver au point où je devrais signer des mandats d’arrêt pour entrave au travail de la police à ceux qui nous téléphonent comme ça sans arrêter.
                -…
                -Vous comprenez. Bien. De plus, vous savez bien qu’il est absolument essentiel et obligatoire de faire une autopsie sur les corps de votre père; la loi m’y oblige, je ne peux pas faire autrement. D’ailleurs, laissez-moi ajouter que cette autopsie sera une pièce majeure dans l’enquête et nous aidera grandement à résoudre le mystère de sa mort. Alors voilà le marché que je vous propose. Je vais demander que cette autopsie soit pratiquée dès la première heure demain matin, et tout-de-suite après vous pourrez récupérer le corps de votre père. Et, en plus, si vous le désirez, je vous faciliterai le plus possible cette tâche d’ensevelir votre père. Je mettrais mes agents à votre disposition, si vous voulez.
                -…
                -Vous ne savez pas quoi répondre ? Et bien voilà mon conseil : je vous conseille de téléphoner à votre imam, l’imam Muramam, et lui répéter ce que je viens de vous dire. Et vous lui direz en même temps que si les appels continuent au poste de la Sureté du Québec, il est possible que les médecins-légistes déclenchent une grève du zèle dès demain matin ce qui aurait pour conséquence que le corps de votre père pourrait rester au frigo encore trois semaines ou un mois. Est-ce que c’est clair comme ça ?
                -…
                -Bon, je vois que nous nous sommes bien compris. J’espère que nous aurons encore l’occasion de collaborer de cette façon.
                -…
                -Oui, c’est ça.
                -…
                -Oui, si vous voulez, vous pourrez me rappeler plus tard. Au revoir.
                Paul raccroche le téléphone fermement. Bon, voilà une bonne affaire de faite. Allons rassurer Jocelyne et les autres.

                Effectivement, le lendemain Paul obtenait que l’autopsie du corps d’Amir Mawami soit faite en priorité. Le corps était ensuite rendu à la famille pour l’enterrement.
                L’ensevelissement a eu lieu dès l’après-midi de ce lundi, à Turso dans un petit reculé du cimetière de l’église unie. C’est avec les responsables de cette église que les dirigeants de la mosquée Badshahi avaient conclu un accord tout juste l’année dernière lorsque l’un des membres âgés de la communauté était tombé malade et était mort subitement; ils avaient cogné à plusieurs portes pour finalement obtenir une réponse positive de l’église unie. Ironiquement, Amir Mawami en tant que le gestionnaire de la mosquée et du centre culturel, avait été le principal négociateur; c’était la deuxième personne à être ensevelie dans le cimetière de la communauté musulmane.
Paul et Roxanne étaient venus et père et fille observaient la scène de loin. Ils ont précédé et suivi le cortège en voiture de Papineauville pour aider aux déplacements comme l’avait dit Paul. Le cimetière n’était pas adjacent à l’église, mais plus éloigné à l’extérieur du village, presqu’à la lisière de la forêt. Quand la foule d’une cinquantaine de personnes était entrée dans le cimetière à la suite de l’imam et du groupe d’hommes qui portaient le cercueil, ils étaient restés près de la porte. Ils voyaient la petite troupe évoluer dans les allées, entre les grands arbres centenaires, jusqu’au fond du cimetière là où il y avait une fosse déjà creusée. Puis l’imam a commencé ces exhortations.
                -Je ne savais même pas qu’il y avait de cimetière ni même de petite église protestante ici, à Turso, dit Roxanne tout haut.
                -Oui, elle fonctionne à temps partiel, je crois, depuis plusieurs années. Mais elle est ici depuis presque les débuts du village.
                -Je suppose que c’était l’église des patrons anglophones de l’usine d’allumettes… Et c’est ici que les musulmans ont trouvé un petit coin pour enterrer leurs morts.
                -Si je me fie au nombre de personne que semble compter la communauté, ça va leur prendre de la place; surtout qu’il semble qu’ils soient contre l’incinération. Bon, je ne crois pas que nous en apprendrons beaucoup ici. J’y vais. J’ai beaucoup de choses à faire aujourd’hui; et puis… il faut que je prenne ce satané rendez-vous.
                -En ce moment tu entends quelque chose ?
                -Mais oui, toujours dans l’oreille gauche
                -Bon; vas-y, moi je vais quand même rester jusqu’à la fin. On ne sait jamais.
                -À plus tard.

                

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