mercredi 4 janvier 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 9

                Roxanne se penche vers l’avant :
-Quelque chose de… personnel ??... Explique-toi, voyons…
                -Oui… et ça m’embête; c’est que j’ai des bruits dans les oreilles !
                -Des acouphènes !?
                -Oui, des acouphènes... C’est arrivé subitement, il y a deux semaines environ. J’étais dans la voiture avec la radio allumée et soudain, c’est comme si le son de la radio avait changé. J’ai pensé que les ondes avaient été brouillées ou quelque chose comme ça et j’ai essayé de retrouver la tonalité juste, mais c’était mon oreille ! J’ai éteint la radio et j’entendais comme un chuintement dans mon oreille…
-Un chuintement ?
-Oui, c’est dur à décrire : c’est comme des vibrations, des bruissements, seulement dans mon oreille gauche. J’ai fait des tests une fois arrivé à la maison; même si je bouche mon oreille j’entends encore ces petits bruits.
-Tu en a parlé à Juliette ?
-Bien sûr !
-Et qu’est-ce qu’elle a dit ?
-Elle m’a conseillé d’aller voir un orthophoniste. Elle veut me prendre un rendez -vous, mais…
-Elle a raison ! Je ferais la même chose. Ce n’est pas la fin du monde. Je crois savoir qu’il existe des traitements contre les acouphènes, pas pour les guérir mais des moyens de les atténuer.... Tu as peur que ça t’empêche de travailler ?
-Je ne sais pas trop; quand je réponds au téléphone et que j’écoute du côté gauche, j’entends tout embrouillé; je suis obligé de changer d’oreille. J’ignore encore toutes les conséquences que ça peut avoir. Peut-être que je deviens vieux, et…
-Oui, tu vieillis et dans ton métier c’est un compliment ! Et puis personne ne va te mettre dehors pour ça. Moi aussi je vieillis : voilà qu’à trente ans je me suis trouvé un premier cheveu blanc !
-Un cheveu blanc ?
-Oui; il y a quelques jours moi aussi. Un matin, j’ai pris ma douche comme d’habitude et en me séchant les cheveux avec la brosse, voilà que je me découvre un cheveu blanc, ici juste au-dessus de la tempe. Ça m’a fait tout un choc; j’ai senti comme un poids qui s’abattait sur mes épaules, tellement que je ne savais plus comment me coiffer.
-Ma pauvre chérie…
-Alors, tu vois : que tu vieillisses n’est pas unique, mon cher papa.
-Bon; je vais prendre ce rendez-vous avec un orthophoniste et on verra bien.
-C’est ça on verra bien...
Roxanne sourit à son père; elle s’approche de son fauteuil et lui passe le bras sur les épaules. Paul ne dit rien et profite du moment.
-Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
-J’allais fouiller le bureau de la mosquée, là où on a trouvé la victime; je sais que l’équipe technique est déjà passée, mais je n’y vais pas pour trouver les empreintes digitales… Tu peux venir avec moi, si tu veux.
-Oh, que oui !...

C’est le début de la soirée; bientôt le soleil se couchera par-delà les collines de la vallée de l’Outaouais, collines sur lesquelles on peut déjà voir les taches rouges et brunes des érables. Paul arrête la voiture devant la mosquée; il y a encore plusieurs badauds et curieux qui jacassent fort. Certains interrogent les policiers de garde dans l’espoir de leur sortir les vers du nez et ces derniers doivent rester vigilants pour bien maintenir l’attroupement en-dehors du cordon de sécurité.  Et avec la fermeture des magasins du centre d’achat d’en face, il y a un grand de va-et-vient sur la rue Provencher.
-Ça va ? demande Paul aux agents de garde.
-Oui, oui.
-Ils ne vous embêtent pas trop.
-Non, non; c’est la routine.
-Vous êtes tous seuls ?
-Non. Bastien est sur le côté et Benoît, derrière.
-Bien; Roxanne et moi on va faire un tour à l’intérieur histoire de jeter un dernier coup d’œil. Probablement que demain vers midi on pourra enlever les cordons.
Paul et Roxanne pénètrent par porte principale de la mosquée Badshahi. Paul allume la lumière du couloir.
-C’est par là.
-Va s’y, je te rejoins; je veux juste quelque chose.
Pendant que Paul se dirige vers le fond du couloir qui loge la salle principale pour se rendre au bureau, Roxanne jette plutôt un long coup d’œil à la salle de prière à travers la colonnade, puis se tourne vers la droite et se rend au pied de l’escalier qui monte vers le balcon. Il monte vers une tribune ou un jubé, je ne sais pas le vrai nom, qui surplombe la salle de prière… J’y suis ! C’est là que se tiennent les femmes pendant les cérémonies religieuses. Elle commence à monter. On doit voir toute la salle de là; s’il s’est passé quelque chose d’inhabituel, ça peut avoir été un poste d’observation idéal… L’escalier fait un angle. Au balcon il y a une série de porte-manteaux, des chaises droites, quelques boites de carton. Des livres traînent ça et là. Probablement des exemplaires du Coran. Bon à quoi ressemble la salle d’ici… Ah tiens, ça c’est bizarre !
 Une longue feuille de plastique recouvre le tapis couvert de sang du deuxième couloir. Paul, en marchant vers le bureau, a vérifié les deux autres portes, celle du bureau de l’imam, et celle du Centre culturel : toutes deux étaient verrouillées. Oui, rien ne prouvent absolument qu’elles étaient fermées à clé durant la prière d’hier soir. Il prend son passe-partout et ouvre le bureau de l’imam qui n’est pas très grand : tout près de la fenêtre, un bureau de travail sur lequel se trouve un ordinateur portable fermé avec une chaise et dans un coin des fauteuils avec une petite table. Quelques plantes vertes ornent le bureau. Et sur l’un des murs, celui du côté gauche, une grande bibliothèque remplie de divers livres. Paul s’approche. Les livres sont en anglais, en arabe, en ourdou… Il n’en voit que deux ou trois en français. Après un moment, il sort. Et là, ce sont les salles de bain; une pour les hommes, une pour les femmes. Il entre; tout d’abord dans celle des hommes. Il regarde, et ce qui lui saute aux yeux, c’est en plus des lavabos habituels, une série de ce qui ressemble à d’autres lavabos, mais plus petits et à la hauteur des pieds. Qu’est-ce que…? Ah, oui, probablement pour faire ses ablutions rituelles... Oui, quelqu’un peut très bien venir ici, faire semblant de faire ses ablutions et caché, et sans qu’on le voit se faufiler jusqu’au bureau. C’est une possibilité. Au tour de la salle de bain pour femmes; elles sont plus petites et, curieusement, elles ne comprennent rien de particulier, deux cabinets avec cuvettes et des lavabos pour les mains et miroirs bien ordinaires. Les femmes ne font pas d’ablutions chez les musulmans ?...
Paul se dirige vers ce qui sert de Centre culturel. Il ouvre la porte avec son passe-partout. La salle est plus vaste, avec une large fenêtre qui donne sur la rue, et quelques lampes sur pied aux quatre coins de la salle. Sur la droite, il y a aussi un bureau avec un portable fermé. À nouveau, tout un mur de côté est occupé par une bibliothèque encore plus longue que celle de l’imam et aux livres encore plus nombreux et plusieurs aux reliures ajourées. La majorité de l’espace est occupé par deux rangées de petites tables de travail qui se font face. Les tapis sont couleur bourgogne à motifs verdâtres. Ici aussi, quelqu’un pouvait s’être dissimulé; pas impossible, mais moins probable; en tout cas, quelqu’un qui avait la clé. Paul sort en refermant la porte. Allons voir le bureau maintenant, le bureau de notre victime, Amir Mawami, le gestionnaire mystère de la mosquée et du centre culturel.
Il franchit la porte, attentif aux moindres détails. Les murs sont d’un ocre poisseux; les tapis sont de teintes grises et bleutées. Il y a une petite fenêtre dans le mur arrière qui donne sur une petite cour et deux chaises sous la fenêtre. Est-ce qu’on pouvait entrer par là ?... C’est faisable, mais il n’y a pas de traces d’infraction, et puis les maisons voisines ne sont pas trop éloignées; c’était risqué de se faire voir. Paul regarde une à une les affiches sur les murs; il ne peut déchiffrer les inscriptions en arabe. Il y a une grande photo de ce qui semble être une mosquée au Moyen-Orient sous un magnifique ciel bleu. Ah, c’est peut-être cette mosquée Badshahi du Pakistan, celle dont parlait monsieur Zardai. Il y a une filière à quatre tiroirs dans un coin de la pièce. Paul s’essaye : elle n’est pas fermée à clé ! Mais les tiroirs sont à moitié vides et leur contenu ne semble pas très pertinent : des factures, des registres. Est-ce que ça vaut la peine d’en faire un inventaire exhaustif ?
À ce moment, Roxanne arrive à la porte du bureau :
-Viens papa ! J’ai quelque chose à te montrer !
-Attends; je termine et après je suis à toi.
Paul s’assoit sur la chaise qu’occupait le gestionnaire au moment de son assassinat. Il y a un ordinateur sur le bureau, encore allumé; des papiers jonchent le bureau, un tiroir est resté ouvert. Paul y jette un coup d’œil sans rien y voir de suspect. Même chose pour celui de dessous. Enfin, dans le troisième, Paul trouve en sac de toile. Tout de suite en l’empoignant, il s’aperçoit que le sac est plein.
-Qu’est-ce que c’est qu’ça ?
-Ouvre-le; on va voir.
-De l’argent; des billets, des pièces… et même des chèques !
-Je crois comprendre. Amir Mawami était le gestionnaire de la mosquée; c’est lui qui s’occupait des finances. D’après moi, il s’agit de la récolte, je ne sais pas comment on dit, des offrandes récoltées à la prière du vendredi soir.

-Oui, tu as raison; c’est certainement ça. Il y a six, huit, dix billets de vingt; des billets de dix… Oh, oh, un chèque de cent dollars au nom de la mosquée, un autre de cinquante… Au total, quatre cents quatre-vingt dollars. Pour une quarantaine de personnes. Je le prends; de même que l’ordinateur. Et par mesure de précautions, on prend aussi celui du Centre culturel et celui de l’imam… Alors, qu’est-ce que tu voulais me montrer ?

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