Meurtre à la mosquée
Chapitre 9
Roxanne se penche vers l’avant :
-Quelque chose de… personnel ??... Explique-toi,
voyons…
-Oui… et ça m’embête; c’est que
j’ai des bruits dans les oreilles !
-Des acouphènes !?
-Oui, des acouphènes... C’est
arrivé subitement, il y a deux semaines environ. J’étais dans la voiture avec
la radio allumée et soudain, c’est comme si le son de la radio avait changé. J’ai
pensé que les ondes avaient été brouillées ou quelque chose comme ça et j’ai essayé
de retrouver la tonalité juste, mais c’était mon oreille ! J’ai éteint la
radio et j’entendais comme un chuintement dans mon oreille…
-Un chuintement ?
-Oui, c’est dur à décrire : c’est comme des vibrations,
des bruissements, seulement dans mon oreille gauche. J’ai fait des tests une
fois arrivé à la maison; même si je bouche mon oreille j’entends encore ces
petits bruits.
-Tu en a parlé à Juliette ?
-Bien sûr !
-Et qu’est-ce qu’elle a dit ?
-Elle m’a conseillé d’aller voir un orthophoniste.
Elle veut me prendre un rendez -vous, mais…
-Elle a raison ! Je ferais la même chose. Ce n’est pas
la fin du monde. Je crois savoir qu’il existe des traitements contre les
acouphènes, pas pour les guérir mais des moyens de les atténuer.... Tu as peur que
ça t’empêche de travailler ?
-Je ne sais pas trop; quand je réponds au téléphone et
que j’écoute du côté gauche, j’entends tout embrouillé; je suis obligé de
changer d’oreille. J’ignore encore toutes les conséquences que ça peut avoir. Peut-être
que je deviens vieux, et…
-Oui, tu vieillis et dans ton métier c’est un
compliment ! Et puis personne ne va te mettre dehors pour ça. Moi aussi je
vieillis : voilà qu’à trente ans je me suis trouvé un premier cheveu blanc
!
-Un cheveu blanc ?
-Oui; il y a quelques jours moi aussi. Un matin, j’ai
pris ma douche comme d’habitude et en me séchant les cheveux avec la brosse,
voilà que je me découvre un cheveu blanc, ici juste au-dessus de la tempe. Ça m’a
fait tout un choc; j’ai senti comme un poids qui s’abattait sur mes épaules,
tellement que je ne savais plus comment me coiffer.
-Ma pauvre chérie…
-Alors, tu vois : que tu vieillisses n’est pas
unique, mon cher papa.
-Bon; je vais prendre ce rendez-vous avec un
orthophoniste et on verra bien.
-C’est ça on verra bien...
Roxanne sourit à son père; elle s’approche de son
fauteuil et lui passe le bras sur les épaules. Paul ne dit rien et profite du
moment.
-Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
-J’allais fouiller le bureau de la mosquée, là où on a
trouvé la victime; je sais que l’équipe technique est déjà passée, mais je n’y
vais pas pour trouver les empreintes digitales… Tu peux venir avec moi, si tu
veux.
-Oh, que oui !...
C’est le début de la soirée; bientôt le soleil se
couchera par-delà les collines de la vallée de l’Outaouais, collines sur
lesquelles on peut déjà voir les taches rouges et brunes des érables. Paul
arrête la voiture devant la mosquée; il y a encore plusieurs badauds et curieux
qui jacassent fort. Certains interrogent les policiers de garde dans l’espoir
de leur sortir les vers du nez et ces derniers doivent rester vigilants pour
bien maintenir l’attroupement en-dehors du cordon de sécurité. Et avec la fermeture des magasins du centre
d’achat d’en face, il y a un grand de va-et-vient sur la rue Provencher.
-Ça va ? demande Paul aux agents de garde.
-Oui, oui.
-Ils ne vous embêtent pas trop.
-Non, non; c’est la routine.
-Vous êtes tous seuls ?
-Non. Bastien est sur le côté et Benoît, derrière.
-Bien; Roxanne et moi on va faire un tour à
l’intérieur histoire de jeter un dernier coup d’œil. Probablement que demain
vers midi on pourra enlever les cordons.
Paul et Roxanne pénètrent par porte principale de la
mosquée Badshahi. Paul allume la lumière du couloir.
-C’est par là.
-Va s’y, je te rejoins; je veux juste quelque chose.
Pendant que Paul se dirige vers le fond du couloir qui
loge la salle principale pour se rendre au bureau, Roxanne jette plutôt un long
coup d’œil à la salle de prière à travers la colonnade, puis se tourne vers la
droite et se rend au pied de l’escalier qui monte vers le balcon. Il monte vers une tribune ou un jubé, je ne
sais pas le vrai nom, qui surplombe la salle de prière… J’y suis ! C’est là que
se tiennent les femmes pendant les cérémonies religieuses. Elle commence à
monter. On doit voir toute la salle de
là; s’il s’est passé quelque chose d’inhabituel, ça peut avoir été un poste
d’observation idéal… L’escalier fait un angle. Au balcon il y a une série
de porte-manteaux, des chaises droites, quelques boites de carton. Des livres traînent
ça et là. Probablement des exemplaires du
Coran. Bon à quoi ressemble la salle d’ici… Ah tiens, ça c’est bizarre !
Une longue
feuille de plastique recouvre le tapis couvert de sang du deuxième couloir. Paul,
en marchant vers le bureau, a vérifié les deux autres portes, celle du bureau
de l’imam, et celle du Centre culturel : toutes deux étaient verrouillées.
Oui, rien ne prouvent absolument qu’elles
étaient fermées à clé durant la prière d’hier soir. Il prend son
passe-partout et ouvre le bureau de l’imam qui n’est pas très grand : tout
près de la fenêtre, un bureau de travail sur lequel se trouve un ordinateur
portable fermé avec une chaise et dans un coin des fauteuils avec une petite
table. Quelques plantes vertes ornent le bureau. Et sur l’un des murs, celui du
côté gauche, une grande bibliothèque remplie de divers livres. Paul s’approche.
Les livres sont en anglais, en arabe, en ourdou… Il n’en voit que deux ou trois
en français. Après un moment, il sort. Et
là, ce sont les salles de bain; une pour les hommes, une pour les femmes.
Il entre; tout d’abord dans celle des hommes. Il regarde, et ce qui lui saute
aux yeux, c’est en plus des lavabos habituels, une série de ce qui ressemble à
d’autres lavabos, mais plus petits et à la hauteur des pieds. Qu’est-ce que…? Ah, oui, probablement pour
faire ses ablutions rituelles... Oui, quelqu’un peut très bien venir ici, faire
semblant de faire ses ablutions et caché, et sans qu’on le voit se faufiler
jusqu’au bureau. C’est une possibilité. Au tour de la salle de bain pour
femmes; elles sont plus petites et, curieusement, elles ne comprennent rien de
particulier, deux cabinets avec cuvettes et des lavabos pour les mains et
miroirs bien ordinaires. Les femmes ne
font pas d’ablutions chez les musulmans ?...
Paul se dirige vers ce qui sert de Centre culturel. Il
ouvre la porte avec son passe-partout. La salle est plus vaste, avec une large
fenêtre qui donne sur la rue, et quelques lampes sur pied aux quatre coins de
la salle. Sur la droite, il y a aussi un bureau avec un portable fermé. À
nouveau, tout un mur de côté est occupé par une bibliothèque encore plus longue
que celle de l’imam et aux livres encore plus nombreux et plusieurs aux
reliures ajourées. La majorité de l’espace est occupé par deux rangées de
petites tables de travail qui se font face. Les tapis sont couleur bourgogne à
motifs verdâtres. Ici aussi, quelqu’un
pouvait s’être dissimulé; pas impossible, mais moins probable; en tout cas,
quelqu’un qui avait la clé. Paul sort en refermant la porte. Allons voir le bureau maintenant, le bureau
de notre victime, Amir Mawami, le gestionnaire mystère de la mosquée et du
centre culturel.
Il franchit la porte, attentif aux moindres détails.
Les murs sont d’un ocre poisseux; les tapis sont de teintes grises et bleutées.
Il y a une petite fenêtre dans le mur arrière qui donne sur une petite cour et
deux chaises sous la fenêtre. Est-ce qu’on
pouvait entrer par là ?... C’est faisable, mais il n’y a pas de traces
d’infraction, et puis les maisons voisines ne sont pas trop éloignées; c’était
risqué de se faire voir. Paul regarde une à une les affiches sur les murs;
il ne peut déchiffrer les inscriptions en arabe. Il y a une grande photo de ce
qui semble être une mosquée au Moyen-Orient sous un magnifique ciel bleu. Ah, c’est peut-être cette mosquée Badshahi
du Pakistan, celle dont parlait monsieur Zardai. Il y a une filière à
quatre tiroirs dans un coin de la pièce. Paul s’essaye : elle n’est pas
fermée à clé ! Mais les tiroirs sont à moitié vides et leur contenu ne semble
pas très pertinent : des factures, des registres. Est-ce que ça vaut la peine d’en faire un inventaire exhaustif ?
À ce moment, Roxanne arrive à la porte du
bureau :
-Viens papa ! J’ai quelque chose à te montrer !
-Attends; je termine et après je suis à toi.
Paul s’assoit sur la chaise qu’occupait le
gestionnaire au moment de son assassinat. Il y a un ordinateur sur le bureau,
encore allumé; des papiers jonchent le bureau, un tiroir est resté ouvert. Paul
y jette un coup d’œil sans rien y voir de suspect. Même chose pour celui de
dessous. Enfin, dans le troisième, Paul trouve en sac de toile. Tout de suite
en l’empoignant, il s’aperçoit que le sac est plein.
-Qu’est-ce que c’est qu’ça ?
-Ouvre-le; on va voir.
-De l’argent; des billets, des pièces… et même des
chèques !
-Je crois comprendre. Amir Mawami était le
gestionnaire de la mosquée; c’est lui qui s’occupait des finances. D’après moi,
il s’agit de la récolte, je ne sais pas comment on dit, des offrandes récoltées
à la prière du vendredi soir.
-Oui, tu as raison; c’est certainement ça. Il y a six,
huit, dix billets de vingt; des billets de dix… Oh, oh, un chèque de cent
dollars au nom de la mosquée, un autre de cinquante… Au total, quatre cents
quatre-vingt dollars. Pour une quarantaine de personnes. Je le prends; de même
que l’ordinateur. Et par mesure de précautions, on prend aussi celui du Centre
culturel et celui de l’imam… Alors, qu’est-ce que tu voulais me montrer ?
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