lundi 23 janvier 2017

Meurtre à la mosquée
Chapitre 12

                À son retour au poste de la Sureté du Québec, Paul est content d’y retrouver l’ambiance plus habituelle d’activité fébrile mais contrôlée. Pendant quelques instants dans sa voiture, il avait craint, d’avoir à nouveau à faire face à une situation de semi-chaos comme celle qui avait prévalu samedi. Il avait besoin de calme, car il voulait réfléchir tranquillement à tout cette affaire… même si dorénavant ça le frustrait de s’asseoir pour réfléchir, car dès qu’il s’arrêtait, il se mettait à percevoir les acouphènes toujours dans son oreille gauche. Il essaye de se le décrire : c’est comme un léger frottement sur une surface sablée, comme des roues de train en caoutchouc sur des rails de bois, un sifflet aux trois quarts bouché, une scie circulaire à laquelle on aurait mis une sourdine; probablement pour mieux pourvoir l’expliquer à l’orthophoniste avec qui il a obtenu un rendez-vous dans deux semaines. Il devra s’absenter du bureau pour aller à Gatineau; Juliette, pour l’encourager et lui remonter un peu le moral lui a promis d’y aller avec lui.
Il faut juste que j’essaye de ne pas y penser. Il ouvre le rapport de l’autopsie sur son bureau qui vient d’arriver. Il confirme qu’Amir Mawami a été atteint d’un seul coup de couteau, mais mortel, porté avec assez de force juste au-dessous du sternum et donné vers le haut. La lame est entrée aisément dans les chairs molles du poumon gauche et du cœur. Un vrai travail de professionnel. Selon la trajectoire du couteau, celui-ci devait mesurer environ quinze centimètres était probablement de forme légèrement incurvée. Ou est-ce que j’ai vu ce genre d’armes ? La victime est décédée très rapidement en moins d’une minute après le coup, d’une hémorragie interne majeure. Pourquoi ne s’est-il pas défendu ? Il n’y avait aucune trace ni de lutte ni de désordre dans le bureau. A-t-il vu venir son agresseur ? Est-ce qu’il l’attendait ? Ils avaient rendez-vous ? L’autre aurait dissimulé l’arme et s’approcher de lui tout près sans éveiller de soupçon. Et pourquoi n’a-t-il pas crié ? Personne ne semble avoir entendu ni de bruit ni de cri. Quelqu’un a dû voir ou entendre quelque chose, c’est sûr, mais tous les gens présents ce soir-là à la mosquée ont-ils fait semblant de rien ?
Paul regarde par la fenêtre pendant quelques instants.
Certainement qu’il connaissait son agresseur; quelqu’un de la mosquée ? ou de l’extérieur ? Il devait connaître pas tout mal et tout le monde devait le connaître. Il brassait de grosses affaires… Aurait-il floué ou volé un grossiste ou un rival qui serait venu pour réclamer son dû ? pour se venger ? Ou ce rival aurait-il envoyé quelqu’un pour lui faire peur ? Y a-t-il eu des avertissements, des menaces ? A-t-il appeler à l’aide ? Aurait-il parlé à ses proches de quelque chose qui le dérangeait ?
                Il faut aller interroger plus sérieusement ses proches, sa famille; à commencer par son fils aîné, comment s’appelle-t-il ? Hamza; on a réussi à régler la crise des appels téléphoniques, je peux sans doute lui faire confiance. Et il y a le rôle de l’imam… ce n’est pas clair, son histoire.

Paul a pris rendez-vous avec Hamza le fils aîné.
-Bonjour.
-Bonjour asseyez-vous. Alors l’ensevelissement s’est bien déroulé ?
-Oui. Mais il reste encore tellement de choses à faire.
Le fils s’exprime dans un mélange de français et d’anglais.
-Il y a les rites de purification, la purification personnelle et surtout celle de la mosquée et du centre culturel; ce qui va prendre du temps. Notre imam est débordé… Tout ce qu’il faisait à la mosquée. Il était irremplaçable… Et puis, il y a ma mère qui est dans tous ses états; pour elle c’est une véritable catastrophe; je ne sais pas si elle va s’en remettre. C’est terrible pour une femme musulmane de perdre son mari, surtout dans de telles circonstances.
-Je comprends, se croit obligé d’ajouter Paul.
-Et puis il y aura le testament, ce qui ne sera pas facile pour personne. Et il faut aussi s’occuper des deux magasins… mon père ne laissait personne s’occuper de ses affaires, même moi ! J’ai bien le titre de directeur-adjoint, mais je vais plus de la représentation auprès de clients d’Ottawa ou de Montréal…
Comme le fils reste silencieux quelques instants, Paul se hasarde :
-Nous recherchons tous les indices possibles pour élucider ce crime, croyez-moi. Parlez-moi de votre père, quel genre de personne était-il ?
À cette question, le fils son interlocuteur se raidit.
-Certaines personnes vous diront peut-être que mon père n’était pas un homme facile, ni dans sa vie professionnelle, ni dans sa vie personnelle, que c’était un homme dur, intransigeant… Mais s’il était exigeant, c’est qu’il avait des principes. Des principes basés sur sa foi en l’islam. Il était exigeant envers les autres comme il l’était avec lui-même. On l’écoutait parce qu’il disait vrai. On lui obéissait parce qu’il était juste. On devait aller à la mosquée, on devait respecter le ramadan, on devait écouter les prêches comme il le faisait et parce qu’il le faisait. C’était un homme très religieux, un bon musulman, un très bon musulman, un modèle de disciple et il nous élevaient en bon musulman. Savez-vous que le mot islam même veut dire soumission ? Être musulman, c’est se soumettre à la volonté d’Allah et du Prophète !
-Vous avez beaucoup d’admiration pour lui…
-Je suis fier de lui. Je suis fier de ce qu’il a été, de ce qu’il a construit. Je suis fier de ce qu’il nous laisse. Je suis fier d’être son fils, et je veux tout faire pour poursuivre ce qu’il a commencé.
-Quand pensent vos frères et sœurs ?
-J’ai un frère, c’est vrai, Kamala. Son deuxième fils… a eu des problèmes mais il fait de son mieux pour s’en sortir. Mon père l’a beaucoup aidé. Il lui a parlé de dizaines de fois. Mais Kamala a eu de problèmes à l’école à cause du français, car il était obligé d’aller à l’école en français… c’est à cause de ça qu’il ne s’est pas bien adapté; il s’est révolté contre cette injustice. Mais il s’en sort depuis quelques temps il fait beaucoup d’efforts, mon père l’a beaucoup aidé, beaucoup aidé. Ma sœur Mariyam l’a souvent provoqué. C’est une sorte de rebelle. Mais elle sait aussi qu’on doit respect à son père et mère. Ça lui causait beaucoup d’inquiétudes.
-Puisque vous parlez d’inquiétude, est-ce le comportement de votre père avait changé ces derniers temps ? Vous semblait-il plus nerveux ? Est-ce que quelque chose le tracassait ?
-Non; mon père travaillait beaucoup et n’avait pas le loisir de laisser voir ses émotions. Quand il se mettait en colère, contre ses employés ou contre ses enfants, ou contre sa femme, il y avait une raison. Et puis… il ne me parlait pas beaucoup. Il ne me parlait pas beaucoup. C’est toujours lui qui amorcé la conversation. Je ne pouvais l’aborder sans une bonne raison.
-Est-ce qu’il avait des ennemis ?
-Des ennemis ? Quelle idée ! Mon père s’entendait bien avec tout le monde; il avait des concurrents en affaires, oui, mais des ennemis, jamais. Je ne peux pas imaginer que quelqu’un ait pu lui en vouloir !
-Qui d’après vous a pu commettre ce crime ?
-Mais enfin ! Vous voyez bien que la mosquée est située dans un quartier où il y beaucoup de sans abri qui quémandent jour et nuit pour se procurer de l’argent pour boire de l’alcool et s’acheter des drogues. C’est certainement l’un de ceux-là qui aurait frappé à sa porte et qui pour lui aurait demandé l’aumône. Mon père dans sa générosité coutumière lui a ouvert la porte en lui disant d’attendre; mais l’autre a dû le suivre et quand il a vu tout cet argent, il est devenu fou et il l’a poignardé ! Et maintenant mon père est mort, à cause de la cupidité de la société occidentale !

Sur ces mots, qu’il juge un peu délirants, Paul raccompagne Hamza en lui disant qu’il devra venir interroger sa mère.
-Ma mère ?? Qu’est-ce que vous lui voulez ? Et que pourra-t-elle dire de plus que ce que je viens de vous dire ?!
-Comme je vous l’ai dit, nous recherchons tous les indices possibles et plus de témoignages nous auront plus nous augmentons nos chances…
-Mais je vous dis que ma mère n’aura rien à vous dire. Et elle n’est même pas en état de parler. D’ailleurs elle ne vous voudra même pas vous parler… Qu’est-ce que vous voulez lui demander ? Elle ne va que vous répéter mot pour mot ce que je viens de dire ! C’est inutile de venir l’interroger ! Inutile je vous dis !
-C’est inutile de vous en colère monsieur Hamza; je vous remercie de votre précieuse collaboration.

De retour à son bureau, Paul pense à cette rencontre, aux réponses du fils aîné, et surtout à ses dernières exclamations outrées, sur les sans abri du coin et sur sa mère qui n’aura rien d’intelligent à dire parce que lui, le fils aîné, a déjà tout dit.
Machinalement, il consulte les fichiers de son service. En effet, le fils cadet, Kamala, y est fiché, pour la litanie habituelle de petits délits : vols à l’étalage, recel, tapage nocturne, possession et trafic de drogue.
Tiens, qu’est-ce que c’est que ça ?

Accusation pour des menace de mort… Accusation sans condamnation, car la plainte a été retirée.

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